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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Evgueni Prigojine (en haut) sert Vladimir Poutine, alors Premier ministre de la Fédération de Russie, le 11 novembre 2011. Ancien repris de justice devenu propriétaire millionnaire de chaînes de restaurant puis fondateur et patron de la société militaire privée Wagner Group, Prigojine a mis à profit ses liens de longue date avec Poutine pour accroître son influence au sein du Kremlin et dans la société russe. © AP Photo/Sipa

Quand Poutine touche le vide du pouvoir

Martin Legros publié le 26 juin 2023 4 min

« Face aux experts en tout genre – et autres alliés de Vladimir Poutine – qui se pressent aujourd’hui pour nous expliquer que le “coup” d’éclat ou d’État, politique et militaire, tenté par Evgueni Prigojine en Russie n’était pas une surprise, y compris pour le maître du Kremlin, toujours en avance d’un coup et d’un plan secret, je crois qu’il ne faut cesser de se remettre en pensée dans la brèche sidérante qui s’est ouverte aux yeux de tous, à l’aube de ce samedi 24 juin… avant d’être colmatée de manière tout aussi inattendue le soir-même. Et mesurer que nous avons peut-être vécu là une petite expérience philosophique autant qu’historique sur la nature du pouvoir.

Une armée privée composée de plusieurs milliers de mercenaires qui s’élance sur 800 kilomètres à travers la Russie, après s’être emparée, sans un coup de feu, du quartier général de l’armée russe à Rostov-sur-le-don, centre logistique de la guerre de grande intensité qu’elle mène depuis plus d’un an contre l’Ukraine ; le chef de cette milice, dite “Wagner”, qui sermonne en direct le vice-ministre de la Défense russe dans ce QG tout en envoyant ses troupes sur Moscou ; la capitale russe où a été instauré un “régime d’opération antiterroriste” qui se prépare à un siège, alors que des rumeurs font état du départ de l’avion de Vladimir Poutine, fuyant la mutinerie, vers une destination inconnue ; le président tchétchène Ramzan Kadyrov qui déclare envoyer ses troupes dans “les zones de tension” tandis que Poutine apparaît blafard à la télévision pour dénoncer une “trahison”, un “coup de couteau de le dos de notre peuple et de notre pays” susceptible d’enclencher une “guerre civile” semblable à celle de 1917… “Au cours des prochaines heures, prévient le bien informé ministère de la Défense britannique dans son bulletin quotidien, la loyauté des forces de sécurité russes, et en particulier de la Garde nationale russe, sera la clé du déroulement de la crise. Cela représente le défi le plus important pour l’État russe.” Puis, quelques heures plus tard, voilà que le même Prigojine, qui se montrait résolu à imposer un changement à la tête de l’armée russe, ordonne à ses troupes de faire demi-tour et de rentrer dans leurs camps pour éviter un “bain de sang” entre Russes sous l’effet d’une médiation menée par le président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko… Et enfin, pendant ce temps-là, le peuple russe et moscovite qui semble vaquer à ses occupations comme si son propre avenir n’était pas en train de se décider.

Si la politique, comme le dit Machiavel, est une affaire “d’apparence” autant que le produit de rapports de forces (car “les hommes jugent davantage avec les yeux qu’avec les mains”), admettons que le spectacle de cette rébellion avortée, dans l’une des plus grandes puissances nucléaires du monde, a de quoi stupéfier. Et plutôt que de chercher des explications au drame qui s’est joué devant nous dans d’imaginaires plans secrets et autres complots ourdis par des puissances invisibles, consentons à nous étonner et à interroger les apparences. Pendant quelques heures, le pouvoir de celui qui tient d’une main de fer l’empire russe depuis près de 25 ans a totalement vacillé, sans qu’un coup de feu, ou presque, ne soit donné. L’armée et les services spéciaux sont apparus hors du coup voire absents du théâtre des opérations. Tandis que les soutiens multiples apportés par les figures politiques internes, du Parlement aux ministres, semblaient sans effet. Et que le maître du Kremlin devait s’en remettre à un homme-lige pour négocier une sortie de crise fondée sur l’esprit de “responsabilité” [sic] du rebelle !

Grand penseur de la démocratie et grand lecteur de Machiavel, le philosophe Claude Lefort soutenait que le pouvoir n’est pas d’abord un organe de domination, mais avant tout une instance symbolique, un pôle de légitimité et d’identité. D’où son expression énigmatique selon laquelle le pouvoir est un “lieu vide”, inappropriable, qui permet à la société, par la transcendance interne que celui-ci représente, de se rapporter à elle-même. Ne pourrait-on dire que c’est l’une des facettes de cette “vacance” du pouvoir à laquelle nous avons assisté ce samedi, avec la chute momentanée de Poutine ? Pour un instant, son pouvoir a bien semblé suspendu au-dessus du vide, détaché de toutes les forces réelles censées lui assurer sa pérennité : armée, police, renseignement, forces spéciales, intérêts économiques, allégeances sociales et politiques. Comme si le vide symbolique du pouvoir était soudain devenu réel. Mais Lefort le soulignait déjà : à terme, l’expérience de ce vide n’est pas tenable dans une société. “Quand l’insécurité des individus s’accroît, en conséquence d’une crise économique, ou des ravages d’une guerre, quand le conflit entre les classes et les groupes s’exaspère et ne trouve plus sa résolution symbolique dans la sphère politique, quand le pouvoir paraît déchoir au plan réel, en vient à apparaître comme quelque chose de particulier au service des intérêts et des appétits de vulgaires ambitieux, bref se montre dans la société, et que du même coup celle-ci se fait voir comme morcelée, alors se développe le phantasme du peuple-un, la quête d’une identité substantielle, d’un corps social soudé à sa tête, d’un pouvoir incarnateur, d’un État délivré de la division” (Essais sur le politique, Éditions du Seuil, 1986). Espérons qu’une autre issue que celle d’une restauration totalitaire se dessine pour la Russie, au lendemain de l’expérience du vide du pouvoir qu’elle vient de faire. »

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