Réconcilier l’Église et le plaisir, est-ce possible ?

Le plaisir sexuel est un « don de Dieu » : c’est ce qu’affirmait récemment le pape François. Une invitation à reconsidérer l’idée courante que le christianisme est, de part en part, hostile aux plaisirs terrestres. Or, il y a au contraire, dans la tradition chrétienne, un véritable « usage des plaisirs », selon la formule de Michel Foucault. Son ambition est de répondre à l’ambivalence constitutive du plaisir pour toute religion, occasion pour l’homme de s’ouvrir à l’expérience, mais risque aussi de se fermer à tout ce qui le dépasse.

Contre les plaisirs terrestres

L’idée d’un mépris des plaisirs dans le christianisme n’est assurément pas sans fondement. En témoignent de manière très évidente les mouvements ascétiques qui accompagnent, dès l’origine, son développement. On connaît l’analyse mordante de Nietzsche : le christianisme est une invention d’hommes transis de ressentiments, trop faibles pour supporter la vie. Le vrai plaisir exige que l’individu s’expose, se risque, et endure peut-être certaines douleurs. Le croyant, au contraire, est l’image même d’une vie recroquevillée sur elle-même, incapable d’oser vouloir, trop chétive pour accepter les souffrances et les déceptions qui vont avec la recherche de son expansion joyeuse. La religion est comme la transfiguration de cette attitude de défaite qui fait du plaisir un mal pour légitimer le fait de s’en détourner. « La prépondérance du sentiment de peine sur le sentiment de plaisir est la cause de cette religion, de cette morale fictive : un tel excès donne la formule pour la décadence » (L’Antéchrist, 1896). Le sexe, le plaisir sexuel, en particulier, fait l’objet d’un dénigrement : « C’est justement au cours de l’ère chrétienne de l’Europe, et sous la pression des jugements de valeurs du christianisme, que la pulsion sexuelle s’est sublimée en amour, en amour-passion » qui semble n’avoir plus grand-chose de charnel, d’incarné (Par-delà le bien et le mal, 1886). « Il a fallu le christianisme pour faire de la sexualité une saleté […] : il a couvert de boue l’origine, la condition première de notre vie. »

L’interprétation peut paraître excessive. Certains penseurs chrétiens témoignent cependant d’une franche hostilité à l’égard des plaisirs terrestres. Les reproches sont multiples et entrecroisés. Comme le dira Pascal dans ses Pensées, « la seule religion contre la nature, […] contre nos plaisirs est la seule qui ait toujours été ». La foi, nous ouvrant au surnaturel, doit nous affranchir de l’aliénation à nos penchants naturels dont la recherche du plaisir est la loi. L’homme qui cherche seulement son plaisir n’est pas différent d’un animal. En matière de sexualité, il entretient en particulier un rapport bestial, instrumental à l’autre. Son existence, agitée en tous sens par ses inclinations, est privée de tout ordre, de toute rigueur, de toute discipline. « Dans le plaisir, c’est l’homme qui succombe au plaisir » : il ne se contrôle pas, il est soumis à sa nature charnelle, ce qui est indigne de sa condition spirituelle. « Il n’y a que la maîtrise et l’empire qui fasse la gloire, et que la servitude qui fasse honte. »