Exposition

Regards enracinés

Paul Virilio, Raymond Depardon, propos recueillis par Barbara Bohac publié le 8 min

À l’occasion de l’exposition qui les réunit à la fondation Cartier, l’urbaniste Paul Virilio et le photographe Raymond Depardon commentent pour nous des images du monde d’aujourd’hui. À la charnière de l’enracinement et de l’exil, le thème de la « terre natale » renvoie au destin de l’homme.

Faire l’apologie de la « terre natale » en 2008, c’est risquer d’entonner un air vieillot. Peut-on reprendre aujourd’hui le thème sans sombrer dans une vision romantique ou passéiste, voire franchement réactionnaire ? Peut-on penser de la même façon qu’autrefois l’enracinement dans le sol natal, le déracinement, le cosmopolitisme ? Le monde a changé, les préoccupations ne sont plus tout à fait les mêmes qu’au XXe siècle. L’urbanisation gagne sans cesse du terrain sur les campagnes, certaines frontières nationales s’estompent, le progrès des moyens de communication accroît la circulation des hommes, les nouvelles technologies leur permettent d’être reliés instantanément à tous les points de la planète. Et d’ici à 2040, de grandes migrations déplaceront un milliard de personnes pour des raisons non seulement économiques et politiques, mais aussi climatiques et écologiques… Prenant acte de ces évolutions contempo-raines, l’urbaniste et essayiste Paul Virilio et le photographe-cinéaste Raymond Depardon méditent sur la notion de terre natale, qui fait l’objet d’une exposition à la fondation Cartier.

À partir d’installations où sont projetés images, films ou cartes animées, Paul Virilio interroge avant tout le thème du déracinement. Une réflexion qui se situe dans le prolongement de celles qu’a menées cet animateur du Collège international de philosophie, ancien directeur de l’École spéciale d’architecture, plusieurs fois sollicité pour des expositions à la fondation Cartier. La vitesse accélérée qui s’empare de notre monde, la tyrannie de l’instant qui évacue la géographie et l’espace physique, l’accident et la catastrophe comme conséquences inévitables du progrès technologique, tels sont les motifs chers à Paul Virilio.

Raymond Depardon, qui se décrit, non sans humour, comme un « voyageur paysan », traite, lui, de l’enracinement. Fils d’agriculteurs, il a photographié les paysans et leur a consacré une série de documentaires sous le titre général Profils paysans, dont le troisième volet, La Vie moderne, vient de sortir. Ses reportages ont mené Depardon aux quatre coins de la planète, en particulier en Afrique, continent auquel il a consacré un long-métrage. Pour l’exposition de la fondation Cartier, il a souhaité donner la parole à des populations sédentaires, Indiens, paysans, îliens, vivant en marge de la modernité. Tout à leur écoute, il les fait s’exprimer dans leur langue sur le thème de la terre natale. Un second film, sorte de journal sans paroles, évoque son tour de la planète en quatorze jours : un tour d’horizon pour montrer le pendant de ce monde à demi oublié.

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