Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© The New York Public Library

Travail, as-tu du sens ?

Michel Eltchaninoff publié le 18 septembre 2023 3 min

« Hier matin, en prenant un café sur le port breton de Roscoff, alors que d’énormes mouettes picoraient sous les tables, j’ai saisi au vol un fragment de conversation. Un homme d’un certain âge, assis juste derrière moi, disait à ses amis : “Aujourd’hui, les jeunes veulent trouver un travail qui ait un sens. Ils n’ont rien compris. Le travail n’a aucun sens ! On le fait parce qu’on est obligé, parce qu’on doit gagner de l’argent. Bien sûr, on y vit quelquefois de bons moments, on devient ami avec des collègues, on mène à bien des projets intéressants. Mais pas toujours. Et quand on veut absolument trouver du sens, c’est le meilleur moyen d’être déçu !”

L’homme, avec sa voix assurée et ses formules acérées, était éloquent. Les personnes attablées avec lui semblaient d’ailleurs convaincues par sa démonstration, et ne protestaient que mollement. Quant à moi, je me demandais s’il avait raison, avec son réalisme un peu brutal. J’ai toujours été hégélien dans mon rapport au travail. Comme le grand Georg Wilhelm Friedrich, je crois que “le travail forme”, qu’il permet de nous transformer tout en modifiant notre environnement – donc qu’il est une dimension essentielle de nos vies modernes. L’idée de suer un peu pour se reconnaître dans ce qu’on crée (qu’il s’agisse d’un petit texte, d’une tomate ou d’un aspirateur) est exaltant. Et si les autres vous apportent de la reconnaissance, c’est encore mieux. Je ne suis donc pas d’accord pour dire que le travail n’a pas de sens.

Le problème, comme le suggérait l’homme assis derrière moi, c’est qu’il faut réussir à trouver un métier qui rende possible cette reconnaissance. Or c’est loin d’être le cas pour tout le monde. La plupart des gens travaillent parce qu’ils y sont contraints pour survivre, et ils le font dans des conditions qui ne leur permettent pas d’en tirer les satisfactions promises par Hegel. Karl Marx, pour n’en citer qu’un, ne parle que de cela, lorsqu’il évoque l’aliénation du travail. Au lieu de se retrouver soi-même en tant qu’humain créateur, on devient une bête de somme, un robot ou un alien.

C’est à ce moment que l’homme a porté l’estocade, en réglant leur compte à tous ceux qui, au lieu de se réjouir de découvrir de petites satisfactions dans leur pénible labeur, refusent tout travail qui ne serait pas immédiatement et clairement porteur de sens. Car finir par trouver du sens à travers le négatif, la fatigue, la répétition, n’est pas la même chose que de débarquer dans une entreprise bardé de grandes valeurs et la quitter au premier désagrément. J’ai cru sentir que le monsieur ne portait pas dans son cœur les adeptes de l’éco-responsable et des entreprises “à impact” – à ses yeux, des enfants gâtés prêts à prendre leurs cliques et leurs claques à la moindre insatisfaction.

Son final était habile, avec ses mots sur les grandes espérances qui se terminent forcément par les plus cruelles déceptions. Mais il ne m’a pas convaincu. Certes, poser au pessimiste, comme Arthur Schopenhauer ou Emil Cioran, permet de faire passer ceux qui espèrent se réaliser pleinement dans leur travail pour des idéalistes un peu benêts. Mais à ce compte, autant critiquer les mariages d’amour au profit des mariages arrangés. Espérer, quitte à être déçu, est le mouvement même du désir. Et, à tout faire, je préfère la démarche de celui qui veut que son engagement professionnel corresponde à ses idéaux, et qui ne travaille pas uniquement par contrainte ou désir de s’enrichir, à celle du pessimiste professionnel. Au moins, il prend un risque et n’a pas peur de se tromper.

D’ailleurs, au moment où mon voisin a abordé le sujet des retraites, et a commencé à expliquer que vouloir commencer une nouvelle vie après soixante ans n’était qu’une illusion postmoderne de plus, je me suis dit qu’il était temps de payer l’addition. Suivi par deux mouettes, je me suis éloigné, bien décidé à continuer de rêver de sens. Et d’être déçu. »

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Expresso : les parcours interactifs
Popper et la science
Avec Popper, apprenez à distinguer théorie scientifique et pseudo-sciences, pour mieux débusquer les charlatans et (enfin) clouer le bec à ce beau-frère complotiste !
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
8 min
Roxane Hamery : “Rien ne permet de prouver que les films violents aient une mauvaise influence sur la jeunesse”
Ariane Nicolas 31 octobre 2021

La série Squid Game, très populaire dans les cours de récré, inquiète de nombreux parents. Les images violentes pourraient-elles avoir une…

Roxane Hamery : “Rien ne permet de prouver que les films violents aient une mauvaise influence sur la jeunesse”

Article
5 min
Moteur de recherche
29 août 2012

Promis à une carrière universitaire, Matthew B. Crawford a préféré le métier de mécanicien. Dans son livre, best-seller aux États-Unis, il dénonce l’aliénation d’un travail intellectuel sans qualité. Et vante l’intégrité et l…


Article
5 min
La jeunesse, grande oubliée des politiques ?
Jean-Marie Durand 20 janvier 2022

Dans un court essai documenté et pertinent, le sociologue Camille Peugny invite à repenser notre conception politique, et philosophique, …

La jeunesse, grande oubliée des politiques ?

Article
3 min
Valeur travail ou travail valorisant ?
Cédric Enjalbert 02 décembre 2021

La « valeur travail » s’est imposée dans l’espace public et les débats politiques comme un nouvel enjeu idéologique. Auquel s’opposerait…

Valeur travail ou travail valorisant ?

Article
4 min
Franck Fischbach : “Nous avons confiné le travail à sa dimension économique”
Charles Perragin 14 mars 2022

Des métiers du soin aux magasiniers, nombre de travailleurs quittent leur emploi, en raison de conditions de travail dégradées ou d’un sentiment…

Franck Fischbach : “Nous avons confiné le travail à sa dimension économique”

Article
6 min
Les cinq règles d’or de la recherche
Alexandre Lacroix 23 février 2021

Derrière la polémique autour de l’enquête sur « l’islamo-gauchisme » et le post-colonialisme au sein de l’Université lancée par…

Les cinq règles d’or de la recherche

Article
9 min
Jean-Luc Mélenchon : un portrait philosophique
Nicolas Gastineau 10 juin 2022

Sous les pavés, les concepts ? Lorsque le tribun Jean-Luc Mélenchon prend la parole, force est de constater que les idées philosophiques se…

Jean-Luc Mélenchon : un portrait philosophique

Article
4 min
Malaise dans la jeunesse
Martin Legros 21 septembre 2012

Les banlieues s’échauffent en même temps que les universités. Est-ce une coïncidence ? Ou la jeunesse est-elle en proie à une crise qui transcende les clivages de territoires, de classes et d’âges ? Deux philosophes sondent les causes…


À Lire aussi
Pour la jeunesse, l’espèce humaine en passe d’être “toxique”
Pour la jeunesse, l’espèce humaine en passe d’être “toxique”
Par Samuel Lacroix
mars 2021
“Ma jeunesse exaltée“ : de grandes espérances
“Ma jeunesse exaltée“ : de grandes espérances
Par Cédric Enjalbert
juillet 2022
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Éducation nationale recherche professeurs désespérément
Par Frédéric Manzini
mai 2022
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Travail, as-tu du sens ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse