Victor Louzon : “La situation actuelle à Taïwan résulte d’une guerre civile inachevée”
Le candidat indépendantiste Lai Ching-te a remporté l’élection présidentielle à Taïwan ce week-end, laissant craindre l’intensification des menaces de Pékin sur l’île. Éclairage du scrutin avec l’historien Victor Louzon, spécialiste de la région et auteur de L’Étreinte de la patrie. Décolonisation, sortie de guerre et violence à Taïwan, 1947 (Éditions de l’EHESS, 2023).
Comment ces élections présidentielles et législatives ont-elles été perçues par la population taïwanaise ? Y avait-il, globalement, le sentiment d’un enjeu important, politique et géopolitique ?
Victor Louzon : Soulignons d’abord que la question du rapport avec la République populaire de Chine, qui fait peser une menace sur l’existence même de Taïwan (officiellement : la République de Chine) comme pays souverain de facto, est présente à l’arrière-plan de toutes les élections, pas seulement de celle qui vient de s’achever. Quant aux autorités chinoises, si leur ton s’est durci depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, leur position sur la question taïwanaise n’a pas beaucoup varié. Ses principes fondamentaux sont les suivants : Taïwan appartient à la Chine ; la « République de Chine », réfugiée à Taïwan depuis sa défaite de 1949 face au Parti communiste chinois, est un régime croupion voué à la disparition ; « l’unification » de Taïwan avec la Chine est donc légitime et inévitable, elle se fera pacifiquement si possible, par la force si nécessaire. Gardons-nous donc de confondre les pics d’intérêt pour Taïwan dans les pays occidentaux, qui obéissent surtout à la conjoncture géopolitique mondiale, et le rythme de la vie politique taïwanaise elle-même.
“Le danger existentiel que représente la Chine pour Taïwan est parfois difficile à saisir pour un observateur occasionnel : il est constant, mais jamais encore concrétisé”
Comment analysez-vous les résultats de ces élections ?
Le 13 janvier dernier, le taux de participation a été de 71-72% pour les élections présidentielles et législatives (elles se tiennent le même jour), le système politique taïwanais étant présidentiel. C’est assez élevé dans l’absolu, mais inférieur au taux de 2020 ou de 2012 (environ 75%) – les élections de 2016 avaient particulièrement peu mobilisé, avec 66% de participation. Si cette campagne a connu des oppositions vives, on ne peut donc pas parler d’une mobilisation particulièrement intense. Le danger existentiel représenté par la RPC est perçu d’une manière parfois difficile à saisir pour un observateur occasionnel : comme il est constant mais jamais encore concrétisé, et que nombre de Taïwanais ont le sentiment que, vu le rapport des forces, il n’est pas vraiment en leur pouvoir de s’en défendre, il s’agit d’une question tout à la fois omniprésente mais qui ne détermine que rarement le quotidien des comportements politiques. Les logiques de la vie démocratique ordinaire jouent donc aussi à Taïwan : le parti de la présidente sortante Tsai Ing-wen (2016-2024), le Parti démocrate progressiste (PDP), était marqué par l’usure du pouvoir et son incapacité à régler certains problèmes économiques et sociaux ; toutefois, l’opposition n’est pas parvenue à susciter l’enthousiasme ni, surtout, à s’unir – ce qui a permis au candidat du PDP, Lai Ching-te, ancien vice-président de Tsai, de l’emporter. Ce troisième mandat présidentiel au sein du même parti est une première dans l’histoire de la démocratie taïwanaise, qui se met à fonctionner pleinement dans les années 1990. Mais Lai, contrairement à Tsai, n’aura pas de majorité au parlement monocaméral, le Yuan législatif. Il s’agit donc d’une victoire en demi-teinte.
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