“Avoir le temps. Essai de chronosophie”, de Pascal Chabot
« Désolé, je n’ai pas eu le temps. » Cette phrase banale, répétée et entendue chaque jour, formule toujours la même frustration : celle de ne pas arriver à faire tenir nos désirs dans le temps disponible, l’impression de courir après les minutes et les heures. C’est le point de départ de l’investigation du philosophe belge Pascal Chabot dans Avoir le temps. Essai de chronosophie (PUF, 2021) : pourquoi le temps, qui est pourtant le même pour tous, ce cours universel et imperturbable des choses, viendrait à nous manquer aujourd’hui ? C’est que, nous dit Chabot, « le temps n’est jamais lui-même. [...] Il n’est pas le temps objectif des physiciens, dans lequel personne n’a jamais vécu. Il est le temps auquel l’homme impose son imaginaire, ses désirs, ses obsessions ». Et notre obsession contemporaine, Chabot l’appelle « hypertemps ». C’est le temps omniprésent – affiché sur nos téléphones, nos agendas numériques et nos ordinateurs. C’est aussi un temps compté plutôt que vécu, un temps quantitatif, toutes nos journées se déroulant en quadrillage serré d’horaires et de deadlines. C’est enfin un temps d’immédiateté, un éternel présent, qui ne pense qu’en actuel et en instantané, dans lequel on « vit au rythme des actualités et des réseaux, des horaires, des écrans et du télétravail, oubliant vite. » Comment en sortir ? En commençant par le replacer, avec Pascal Chabot... dans la longue histoire du temps.
- Les 5 régimes du temps. Pascal Chabot identifie 5 « régimes du temps », « les centres actifs de cinq mentalités et cinq visions du monde », qui se sont succédés à travers notre histoire : le Destin, le Progrès, l’Hypertemps donc, le Délai et enfin l’Occasion (tous en majuscules dans le livre). À chaque fois, ils sont le fruit conjoint d’une vision du monde et d’un niveau d’avancée technique, et configurent le rapport au temps des individus. Ces temps ne sont pas exclusifs mais se recoupent, coexistent ou s’affrontent.
- Le Destin. Pour Chabot, le Destin est le temps de la nature, de la rotation des astres, du cycle des marées, du retour irrémédiable des saisons. C’est le temps que Platon nommait « l’image mobile de l’éternité immobile ». Il est le régime par lequel les Antiques pensaient le monde. Il est l’immense mais aussi le minuscule, ce temps imperceptible, celui que l’esprit humain ne peut saisir, « celui de l’herbe qui croît, des cheveux qui poussent, de la peau qui se régénère. »
- Le Progrès. C’est le temps de la modernité, qui commence quand Descartes rêve en 1637 l’humain « maître et possesseur de la nature ». C’est le moment où la raison, ayant produit les machines et la technique, veut apprivoiser le Destin, temps naturel, et le mettre sous son emprise : « Les techniques rusent avec la temporalité (machina veut à l’origine dire “ruse”) ». Il faut « accélérer les lenteurs » naturelles, les mettre en horloge et en production.
- L’Hypertemps. C’est en quelque sorte le temps du lapin d’Alice au Pays des Merveilles : « La course n’est jamais assez rapide, les journées n’ont pas assez de secondes ». Le temps est constamment décompté, mesuré, évalué par des applications téléphoniques, il en faut toujours plus. C’est aussi le régime de temps du numérique, celui de l’immédiateté et de l’éphémère, du clic qui accomplit instantanément son effet, du streaming qui se déroule dans l’instant mais ne conserve aucune mémoire.
- Le Délai. Le délai, c’est l’intervalle de temps avant qu’il ne soit trop tard, c’est le temps de la crise écologique. Après le progrès, qui voyait le temps comme un devenir enthousiasmant, le délai retourne le problème : le temps devient un compte à rebours, un no future annoncé, la conscience collective que justement... « nous n’avons plus le temps ».
- L’Occasion. Pour Chabot, c’est ce que doit être le régime de la philosophie. Un temps hors du temps, qui comprend les 4 autres et s’interroge sur leurs interactions. C’est à la fois une position de réflexion, celle du surplomb dont rêve le penseur, et une invitation à l’action : trouver le moment opportun, à l’intersection des régimes de temps, pour les réconcilier. C’est donc le temps qui permet de sauter de l’un à l’autre, celui que l’on connaît à chaque fois que l’on dit… il est temps.
Avoir le temps. Essai de chronosophie, de Pascal Chabot, est disponible depuis le 3 février aux Presses Universitaires de France.
La rencontre ne peut pas avoir lieu n’importe où. Pour le philosophe belge Pascal Chabot, auteur d’Avoir le temps. Essai de chronosophie (PUF,…
En matière d’IA, il y a les fantasmes, et il y a la réalité de la recherche. Est-elle capable de penser ou n’est-elle qu’une imitatrice surdouée ?…
Pourquoi nous laissons-nous si facilement voler notre temps par le travail mais aussi par les écrans ? Sommes-nous capables de nous le…
L’un a décrypté le phénomène du burn-out, l’autre veut réhabiliter la figure de l’artisan. Pascal Chabot et Matthew Crawford se retroussent les…
Depuis plusieurs années, nous assistons à une profonde transformation du monde du travail : apparition du terme de burn-out, numérisation…
Le nouveau volume des Chronologies Bescherelle propose une somme pédagogique et documentée visant à restituer la langue française dans son écrin…
À 85 ans, lors d’une conférence émouvante, l’écrivain Michel Butor médite sur la nature du temps : celui qu’il a vécu et celui qui lui reste à…
Jacques Darriulat s’est attelé à une entreprise singulière : reconstituer pas à pas la biographie des personnages et la progression de l’action de laRecherche. Pour le lecteur familier de la narration proustienne non…