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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Au sein de l’un des laboratoires de l’Isipca, des élèves goûtent un arôme de pêche dans le cadre du cours d’“aromatique alimentaire”. Goûter permet aussi de sentir : c’est le principe de l’olfaction rétronasale. © Marie Genel pour PM

Reportage dans une école de parfumerie

Et si on apprenait à sentir le monde ?

Clara Degiovanni publié le 05 mai 2022 13 min

Nous sommes des analphabètes du nez ! Nous pouvons sentir mais nous ne savons pas nommer et encore moins expliquer les odeurs. Ce savoir ouvre pourtant un rapport sensoriel, intime et créateur à ce qui nous entoure. Est-il possible d’« ouvrir son nez » comme on aiguise son regard ? Nous nous sommes immergés dans le monde des parfumeurs.

 

« Fruit sec, fruit d’eau, crème solaire, fleur blanche, muguet, jasmin, peau de poire granuleuse, vert, floral, monoï, notes marinées… » Il est 9h45 à l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire (Isipca), l’école de parfumerie fondée en 1970 par Jean-Jacques Guerlain, à Versailles, dans la rue cossue du Parc-de-Clagny. La longue liste ci-dessus décrit le « Salicylate d’Hexyle », une essence synthétique que l’on trouve notamment dans les eaux de Cologne. Trois termes saillants synthétisent cette profusion d’impressions olfactives énumérées par les élèves : « poire, vert et iodé ».

Pendant tout le « cours d’olfaction », le procédé sera le même. La professeure Sabine Raynal distribue à toute la classe des « mouillettes » : de petits papiers imbibés d’essences ou d’absolues, les matières premières avec lesquelles travaillent les parfumeurs. Les élèves notent ensuite leurs descriptions de ces fragrances sur une feuille. Nous sommes au cœur de l’apprentissage du métier de parfumeur : pour bien sentir, il faut savoir décrire.

À l’école de parfumerie, donc, tous les mots sont permis. Des termes incongrus, cocasses ou poétiques s’associent pour restituer la richesse des effluves étudiés. Ainsi découvre-t-on au fil de la séance qu’il peut y avoir une odeur de lait dans le jasmin, de citron dans le cacao ou de caoutchouc dans le cassis. Fruits, fleurs, objets et même textures se combinent pour désigner chaque fragrance le plus précisément possible. Pour décrire un parfum, « on va aller chercher du voluptueux, du sensuel, du charnel, du dur, du boisé, de l’épicé », explique Sabine Raynal. L’un des objectifs est de développer la « synesthésie », une faculté consistant à faire dialoguer nos sens entre eux, de l’ouïe à la vue en passant par le toucher. « Souvent, j’ai l’impression que l’odeur est tactile, je fais des gestes avec mes mains », illustre la professeure de l’Isipca.

Selon Maurice Merleau-Ponty, les sens peuvent en effet « communiquer entre eux ». C’est ce qui nous rend capables de voir « l’élasticité de l’acier », d’entendre « la couleur bleu vert d’un son de flûte » et aussi de sentir la texture d’une odeur. Pour fascinante qu’elle soit, cette faculté de faire dialoguer les sens n’est que très peu exploitée. « La perception synesthésique est la règle », écrit le phénoménologue français, et pourtant, « nous ne nous en apercevons pas », car nous avons « désappris de voir, d’entendre […] et de sentir ». Dans son livre Le Miasme et la Jonquille (1982), l’historien Alain Corbin explique ce phénomène. Selon lui, à partir du XVIIIe siècle, après des campagnes d’assainissement des villes, nos univers olfactifs sont devenus neutres, voire ennuyeux. Nous avons cessé d’être « odorifères », et l’olfaction est devenue suspecte. « L’odorat est un sens qui est presque du domaine du péché. Nous ramener à notre nez, c’est nous ramener à notre statut d’animal », analyse Sabine Raynal. L’exercice d’olfaction, tel qu’il est pratiqué à un niveau professionnel, est donc aussi fascinant que perturbant. Car, culturellement, nous n’avons pas l’habitude d’entrer si profondément dans le détail de notre ressenti olfactif. « Notre nez est fermé », regrette la professeure.

 

« Avoir un nez curieux »

L’Isipca fait partie des quatre écoles de parfumerie française proposant une formation pour devenir « nez », c’est-à-dire parfumeur. Mais, comme on le dit souvent dans la profession, « il y a plus d’astronautes que de nez ». L’institution permet donc également de former les étudiants aux autres métiers gravitant autour du monde des odeurs, comme la cosmétique ou l’aromatique alimentaire. Découvrons les méthodes de ces futurs professionnels de l’odorat.

Tout sentir, tout goûter, tout tester, ne rien s’interdire. Tel pourrait être le premier mantra de celui qui cherche à développer son nez. Isabelle Mirikelam, chargée du cours d’« aromatique alimentaire » à l’Isipca, rappelle que « l’on peut sentir partout ». Lors d’une balade à la mer, par exemple, « les cailloux, le sable, les plantes que l’on frotte au creux de sa main » sont autant d’expériences olfactives à tenter. Et si l’on n’a pas la mer à portée de narine, ce n’est pas grave : tout est terrain de jeu pour celui qui cherche à entraîner son odorat. Elle suggère ainsi de partir en excursion dans un magasin de bricolage pour découvrir « des notes de solvants, de peinture, de pneu, de clou ». Il faut, conseille-t-elle, « passer par tout ce que l’on manipule et le sentir, avoir un nez curieux ». Toujours pour élargir son capital olfactif, Sabine Raynal invite également ses élèves à se mettre « à quatre pattes dans la terre » pour sentir « les vers de terre écrasés ». S’ils donnent un aperçu ludique et pour le moins inattendu de la profession, ces cas pratiques ne sont pas anecdotiques. Il s’agit bien, par ces découvertes, d’envisager les odeurs comme un objet culturel comme un autre, que l’on peut enrichir tout au long de sa vie. Mais pour cela, il faut sortir de notre zone de confort olfactif.

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