La conjuration des egos
Pourquoi, dès la deuxième édition des Maximes (1666), La Rochefoucauld supprime-t-il la longue réflexion sur l’amour-propre qui ouvrait le premier recueil ? Remords ? Évolution de la pensée ?
L’unique raison est un souci de style. Lecteur de Baltasar Gracián, traduit par Madame de Sablé, l’amie de tout ce que le siècle de Louis XIV compte d’esprits libres et érudits, La Rochefoucauld puise chez le théoricien de l’« art de la pointe » la règle selon laquelle « ce qui se dit bien se dit en peu de mots » – surtout si l’on gage qu’on sera lu avec l’esprit de finesse requis. Le « vrai honnête homme » qui « ne se pique de rien », c’est-à-dire qui feint par politesse pareil dilettantisme, ne doit pas balancer, lorsqu’il écrit, à faire court. Voilà pourquoi, aussi bien tournées soient-elles, les pages consacrées à décrire les ressorts de l’amour-propre enfouis dans les replis du cœur seront effacées. Publiées sans cette introduction, les cinq cent quatre sentences piquent d’emblée au vif l’intelligence du lecteur qui en ressent aussitôt tout l’effet vexatoire.
Comme le dit l’avertissement du « libraire » – faux-nez sous lequel La Rochefoucauld dissimule son sourire sarcastique –, l’idée de l’amour-propre est reliée au dogme de la Chute : « Je me contenterai de vous avertir de deux choses : l’une, que par le mot d’intérêt on n’entend pas toujours un intérêt de bien, mais le plus souvent un intérêt d’honneur ou de gloire ; et l’autre, qui est comme le fondement de toutes ces réflexions, que celui qui les a faites n’a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché ; et qu’ainsi la manière dont il parle de ce nombre infini de défauts qui se rencontrent dans leurs vertus apparentes ne regarde point ceux que Dieu en préserve par une grâce particulière. » En cette époque soucieuse des convenances religieuses, le mécréant lettré versé dans le libertinage d’idées et de mœurs observe une bonne politique en prétendant souscrire à ce dogme de la rupture entre Dieu et les hommes. C’est sous cet emballage augustinien que La Rochefoucauld choisit de passer en contrebande son athéisme, son acosmisme et son incrédulité à l’égard des prétentions humaines à la grandeur, qu’elles aillent se nicher dans un idéal philosophique ou une chimère religieuse.
Laissant les questions théologiques de fond aux doctrinaires de Port-Royal, La Rochefoucauld adosse son anthropologie au péché originel à seule fin de rappeler que les humains vivent depuis cet événement primordial dans une nature en perdition. Privée de la grâce efficace de Dieu, la nature n’est plus une nature, mais une non-nature dont la seule causalité s’avère la pire des causalités puisqu’il s’agit du hasard – nihilisme
Au surlendemain de l’assaut contre le Capitole des partisans de Donald Trump, le philosophe et historien de l’Antiquité Pierre Vesperini trouve…
Connaissez-vous le principe du Secret Santa ? C’est une façon de fêter Noël, désormais courante dans les familles nombreuses, les groupes d’amis et…
L’égoïsme prôné par Ayn Rand ne serait, selon l’essayiste Alain Laurent, ni fermé aux autres ni prédateur. Il possèderait le souci universel de la prise en compte de l’égoïsme bien compris des autres, base morale d’une coopération…
La quasi-disparition des partis traditionnels témoigne d’un éclatement de l’espace politique. Le chercheur Éric Thiers propose un concept, la «…
Le philosophe et intellectuel européen Fernando Savater s’interroge sur les conséquences de la crise en Europe et sur la spécificité des cas…
Les contributions au Grand Débat national le confirment : nos mœurs individualistes nous incitent le plus souvent à militer en faveur de nos propres intérêts. Et si un détour par le monde animal nous ramenait à plus de raison ?
Suivre ses inclinations sans pour autant sombrer dans un égoïsme incompatible avec la vie en société : telle est la ligne de crête choisie par Emerson. Qui irriguera une bonne partie de la culture américaine à sa suite.