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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Autoportrait. © Virginie Pirard

Vie quotidienne

Le cancer, une traversée existentielle

Caroline Pernes publié le 04 novembre 2022 8 min

Expérience à la fois commune et profondément singulière, le cancer constitue un véritable bouleversement existentiel. Comment les philosophes qui en ont été atteints traversent-ils cette épreuve ?

 

« Tout le monde meurt d’un cancer, la question c’est de savoir quand ! » Cette boutade est révélatrice de la banalité de cette maladie, dont le nombre de cas en ferait presque une expérience collective. Au point que la Cité des sciences et de l’industrie à Paris y consacre, jusqu’au 8 août 2023, une exposition. Sans étonnement, le cancer n’épargne pas les philosophes. C’est d’ailleurs l’objet du dernier ouvrage de Ruwen Ogien, Mes Mille et une Nuits. La maladie comme drame et comme comédie (Albin Michel, 2017), dans lequel il décrit l’expérience d’un cancer du pancréas qui l’entraînera bientôt vers la mort. Mais face à la banalité statistique, le témoignage en première personne illustre la radicale singularité de l’expérience. Comment vivre le cancer ? Comment réfléchir aux bouleversements existentiels qu’il entraîne ? Nous avons posé la question à deux philosophes qui se remettent aujourd’hui de cette maladie. Virginie Pirard, juriste et chercheuse en bioéthique, a souffert d’un cancer du sein il y a une quinzaine d’années. Philippe Petit, auteur notamment d’une Philosophie de la prostate (Éditions du Cerf, 2018) et fondateur du site ABC Penser, a quant à lui souffert d’un cancer de la prostate. Ils racontent leur expérience.

Le corps occupé

Virginie Pirard se remettait tout juste d’un épisode de pharyngite. Elle toussait encore un peu, et en mettant sa main sur son thorax, elle a senti une boule. Un peu inquiète, elle en parle à sa mère, médecin, qui lui conseille d’aller consulter. En passant la sonde à l’endroit indiqué, l’échographe retire immédiatement l’instrument, saisie. Deux tumeurs. La biopsie révèle qu’il s’agit d’un cancer invasif, de grade 3.

© Virginie Pirard

© Virginie Pirard

Cancer. Le médecin qui annonce à Ruwen Ogien sa maladie n’a pourtant jamais prononcé ce mot. Il lui diagnostique un « adénocarcinome canalaire pancréatique », lui « laissant la responsabilité de déchiffrer ce que cela voulait dire ». Un cancer du pancréas qui refuse de dire son nom.

L’annonce de la maladie se fait paradoxalement sans fanfare, comme si l’on rechignait à traduire le bouleversement existentiel dont elle s’accompagne pourtant. Avec pudeur, Philippe Petit explique avoir été diagnostiqué « comme tout le monde, par une simple prise de sang ». Depuis longtemps inspiré par la définition de la maladie que donne Georges Canguilhem, il prend pourtant immédiatement conscience d’être transporté dans un « état de minorité », une « régression pathologique ». Comme il le décrit dans sa Philosophie de la prostate, sorte de journal de bord, le voilà « hors circuit, hors monde, hors histoire, hors tout : à bout de souffle ». On n’attrape pas un cancer, pas plus qu’on ne le développe. Le cancer semble plutôt survenir à l’individu. Une prise de conscience du malade se découvrant comme tel, que Ruwen Ogien décrit comme une occupation : « C’est la première fois que je me sens complètement “envahi”. » Voire dépassé, effacé par le cancer. Il raconte avec humour sa stupeur quand on lui apprend qu’un des effets secondaires du traitement risque « d’aboutir à l’effacement complet de {ses} empreintes digitales », compromettant sérieusement ses chances d’obtenir un passeport pour son prochain séjour aux États-Unis. Virginie Pirard s’est également sentie comme « entièrement occupée » par le cancer, à la fois physiquement et psychologiquement. Il faut faire place à la maladie, « faire corps avec cette question de la tumeur ». S’adapter au protocole de soin, accepter les traitements. Passée par la chimiothérapie, elle perd progressivement ses cheveux, ses sourcils, ses cils. Elle décide pourtant de ne pas porter de perruque, persuadée qu’aucune ne parviendra à reproduire les nuances de son roux naturel. Pas de foulard non plus. Elle choisit « d’aller tête nue ». Comme un éclat d’orgueil face à une maladie qui la « dénarcissise » en permanence. Elle décrit le sentiment de perte de contrôle sur sa féminité, sur l’image qu’elle renvoie aux autres comme à elle-même. À seulement 31 ans, la voilà confrontée à l’impuissance face aux transformations du corps, une expérience qu’elle pensait liée à la vieillesse. Perdre de sa mobilité, voir son corps s’abîmer malgré une bonne hygiène de vie, c’est une fatalité qu’on attribue normalement aux personnes âgées. Mais « le corps est abîmé par le cancer ». Après la radiothérapie, elle passe à l’hormonothérapie, qu’elle vit comme « une tragédie ». Virginie Pirard décrit l’impression de voir toutes ses sensations altérées, son « paysage intérieur » remué. Elle prend rapidement du poids. Les choses n’ont plus la même texture sous ses doigts. Son corps semble rejeter le traitement de toutes ses forces. Elle ne se reconnaît plus. Contre avis médical, elle décide d’interrompre au bout de 13 mois un traitement supposé durer 5 ans. Elle sait pertinemment que cela réduit ses chances de survie. Mais « c’était ça ou me jeter par la fenêtre ». Le soulagement n’est pourtant que partiel. Elle souffre d’une fatigue chronique, impossible à combler par le repos, qui la « ronge de l’intérieur ». Obligée de puiser constamment en elle à la recherche de ressources pour simplement « faire », continuer à « être ».

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