Magali Bessone : “Vis-à-vis des descendants d’esclaves, il vaut mieux réparer les vivants que les morts”
Au Royaume-Uni, la famille Trevelyan, qui s’est enrichie par l’exploitation d’esclaves dans des plantations à la Grenade, a annoncé qu’elle verserait 110 000 euros à un fonds pour le développement économique des communes de l’île. Les initiatives de réparations se multiplient dans le monde. Mais pour la philosophe Magali Bessone, autrice de Faire justice de l’irréparable (Vrin, 2019), il faut aborder la question selon un autre prisme que la compensation financière. Faire place à la justice transitionnelle permettrait de se tourner vers un avenir libéré des structures, persistantes, de discrimination raciale.
La décision de la famille Trevelyan, qui va verser 110 000 euros à un fonds pour le développement économique des communes de la Grenade, est-elle inédite ?
Magali Bessone : La démarche qui consiste à présenter des excuses et verser une aide financière sous une forme ou une autre, par un acteur privé (ici une famille), au titre de réparations pour l’esclavage du passé, n’est pas tout à fait inédite aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Des excuses ont par exemple été émises par plusieurs universités étatsuniennes (celles d’Alabama, d’Emory à Atlanta, de Georgetown…), et d’autres ont créé des fonds de dotation spécifique pour financer des bourses ou des partenariats éducatifs (le Princeton Theological Seminary ou l’université Brown, par exemple). Un réseau de plus de 90 universités, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Colombie, nommé Universities Studying Slavery (« Les universités étudiant l’esclavage »), a vu le jour, avec pour objectif l’étude des liens entre les universités et l’esclavage colonial : de l’organisation de colloques ou la rédaction de recommandations jusqu’à la mise en place de fonds spécifiquement dédiés à l’enseignement et la recherche sur l’histoire de l’esclavage, en passant par le changement des noms de certains bâtiments ou l’installation de plaques commémoratives, les mesures de réparations qui ont été prises sont variées, à la fois symboliques et financières, comme dans le cas de la famille Trevelyan. Au Royaume-Uni, dès 2020, la Bank of England et d’autres institutions financières ou compagnies d’assurance ont également présenté des excuses pour les « relations inexcusables » que des gouverneurs ou directeurs du passé ont entretenues avec l’esclavage. Depuis 2021, le 19 juin est un jour férié aux États-Unis, observé dans de multiples entreprises (Nike, Target, Twitter, etc.), qui commémorent l’annonce de la libération de toutes les personnes mises en esclavage au Texas en 1865, à la suite de la proclamation d’émancipation nationale par Abraham Lincoln. Le geste de la famille Trevelyan s’inscrit donc dans un mouvement plus général touchant de nombreuses institutions privées, qui reconnaissent aujourd’hui avoir bénéficié dans le passé d’un enrichissement injustifié par la manne financière de la structure esclavagiste et de la traite transatlantique.
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