Marc Augé : “L’histoire s’accélère, les non-lieux se multiplient”
Missions en Afrique, plongée dans le métro ou traversée du jardin du Luxembourg, cet anthropologue atypique observe sans jamais se départir du souci de l’autre. Inventeur du concept de « surmodernité », il passe au crible supermarchés, groupes hôteliers ou camps de réfugiés – ces « non-lieux » où l’homme est anonyme. Et regrette la surabondance d’événements, qui nous condamne au présent.
Des lagunes du sud de la Côte d’Ivoire à la traversée du jardin du Luxembourg, du Togo au métro, du paganisme à l’hypermodernisme, Marc Augé a forgé une singulière anthropologie des mondes africains et contemporains. Qu’il promène son regard sur un prophète guérisseur ivoirien ou dans la cabane des écureuils Tic et Tac à Disneysland, cet ethnologue atypique remarque souvent le trait caché, la part d’ombre ou d’humanité des objets étudiés. Originaire d’une famille où les militaires étaient nombreux, il s’intéresse à la décolonisation mais aussi aux sciences de l’information et de la communication. Il est devenu l’un des meilleurs observateurs de ce qu’il appelle la « surmodernité », où tout est en excès et en excédent : temps, vitesse, mouvements et marchandises. Pas surprenant donc qu’il soit devenu l’apologiste de la bicyclette et des riens qui peuvent changer un destin. Tel un monsieur Hulot de l’anthropologie, il visite les arcanes de notre quotidien technologique et urbain à l’aide d’un incomparable sens des autres.
Marc Augé en cinq dates
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1935 Naissance à Poitiers.
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1961 1962 Service militaire en Algérie
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1965 Première mission d’anthropologie sur le rivage alladian, en Côte d’Ivoire
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1985 1995 Président de l’École des hautes études en sciences sociales (Ehess)
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2010 Parution de Carnet de route et de déroutes, journal de l’année 2008-2009, de la crise géorgienne à la crise financière
Votre parcours s’inscrit dans celui des maîtres à penser des années 1960. Le normalien que vous étiez a-t-il été séduit par leur aura théorique ?
Marc Augé : Amateur de spéculation théorique et philosophique, j’étais à la fois séduit, intimidé et un peu effrayé par le grand maître à penser de l’époque, Louis Althusser, et plus encore par certains de ses élèves. Agrégé de lettres, la littérature réduite à de l’érudition par les cursus universitaires ne m’attirait guère. La rencontre avec l’ethnologue Georges Balandier, qui inaugura la première chaire de sociologie africaine à la Sorbonne, fut déterminante. J’ai donc rejoint l’Orstom (Office de la recherche scientifique et technique d’outre-mer), ce CNRS ultramarin qui m’a permis de connaître mon premier terrain, le rivage alladian de la Côte d’Ivoire.
Que vous reste-t-il aujourd’hui de ce premier terrain ?
L’idée que les sociétés, aussi diverses soient-elles, se posent toutes les mêmes questions. Celles du sens de la vie, de la vie après la mort, des liens de parenté, etc. Ce qui fait l’universalité des cultures, ce sont les questions qu’elles ont posées, non les réponses qu’elles ont apportées. Mais, pour l’essentiel, l’ethnologue est confronté aux réponses. Les questions, il les imagine d’après ces réponses, et ce sont toujours les mêmes grands thèmes : la différence des sexes, la transmission, l’influence, l’hérédité et l’héritage, la -succession des générations, l’âge et l’autorité, l’interprétation de la nature et des événements, l’inscription dans l’espace et le temps, la maladie et la mort… On n’explore jamais aussi intensément l’ensemble de ces questions que lors d’un premier terrain. Pour un anthropologue, le premier terrain c’est celui des origines, de sa propre origine.
Est-ce lors du premier terrain que s’établit, pour l’anthropologue, ce que vous avez appelé « le sens des autres » en dépit de l’ethnocentrisme qui peut biaiser son regard ?
Faites-vous primer le désir comme Spinoza, la joie à l'instar de Platon, la liberté sur les pas de Beauvoir, ou la lucidité à l'image de Schopenhauer ? Cet Expresso vous permettra de le déterminer !
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