Hors-série "La puissance des femmes"

Marie Ndiaye : puissantes 
malgré tout

Marie NDiaye, propos recueillis par Sonia Feertchak publié le 06 juin 2023 4 min

Certains titres d’œuvres connaissent une fortune singulière. Ainsi du roman de Marie NDiaye paru en 2009 : Trois Femmes puissantes. Son auteure explique que ces femmes incarnent chacune à sa manière une sorte de puissance particulière, liée à la connaissance de la souffrance endurée qui peut se muer en force et en ambition.

 

 

Il y a dix ans, vous avez écrit Trois Femmes puissantes, prix Goncourt. Pourquoi ce qualificatif de « puissantes » ?

Marie NDiaye J’ai écrit le roman sans penser à ce terme, je crois d’ailleurs qu’il n’apparaît nulle part dans le texte. Je n’avais pas l’intention (je n’ai du reste jamais d’intention lorsque j’écris) de décrire un certain genre de femmes puissantes à mes yeux. Il s’agissait de faire vivre des personnages ne représentant qu’eux-mêmes et non de créer des figures – même si Khady Demba est peut-être, elle, un symbole plus qu’un authentique personnage. L’écriture achevée, j’ai passé plusieurs semaines à chercher un titre. J’ai fini par opter pour un titre qui commence par « trois femmes », il me manquait alors l’épithète. J’aurais pu en choisir une allant dans une direction très différente de « puissantes », comme « affligées », ou « éperdues »... Mais je n’ai jamais aimé les titres tristes ni ceux qui imposent une façon de ressentir l’histoire ou de juger les personnages. Je suis consciente que « puissantes » fait cela malgré tout : on ouvre le livre en ayant une idée de la manière dont l’auteur considère ces femmes qu’on ne connaît pas encore, cela induit à penser d’emblée quelque chose de positif sur ces personnages. C’est pourquoi ce titre me gêne un peu encore aujourd’hui : on sent trop la pensée de l’auteur et, précisément, alors que je ne souhaite pas avoir d’intention, son projet, son arrière-pensée, presque sa volonté manipulatrice… Mais, voilà, je me suis arrêtée sur « puissantes » pour l’harmonie de ces trois mots ensemble et sans doute aussi par goût du paradoxe, puisque la puissance de ces femmes ne peut apparaître d’emblée. J’ai constaté avec intérêt que, dans les éditions étrangères du livre dont je peux comprendre le titre, on trouve systématiquement le mot « fort », comme si ce terme de « puissantes » n’était pas traduisible dans le sens que je lui ai donné…

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