Débat

Nous ne sommes pas seuls ici : le point de vue de Sari Nusseibeh

Sari Nusseibeh, propos recueillis par Emmanuel Dauzat publié le 4 min

Comment le conflit s’est immiscé dans les imaginaires des deux peuples jusqu’à définir l’identité profonde de chacun, à la fois enchevêtrée et fermée l’une sur l’autre ? Le romancier israélien Amos Oz et le philosophe palestinien Sari Nusseibeh confrontent leur vision en se racontant.

La réplique de Sari Nusseibeh

 

L’autre. On ne saurait dire que l’image de « l’Arabe » soit totalement absente d’Une Histoire d’amour et de ténèbres d’Amos Oz, mais elle est discrète. Peut-être ne pouvait-il en être autrement compte tenu de la tradition sioniste dans laquelle il a grandi. Mais pareillement ou de façon plus spectaculaire encore, l’image du « Juif » dans mon esprit était celle d’un homme mauvais, voué à me déposséder, moi et les miens. En un sens, Amos et moi avons dû nous défaire de nos traditions, rechercher à chaque fois le moyen de concilier nos préjugés compréhensibles et aménager un espace pour « l’autre ». Toutefois, pour ajouter une note plus personnelle, je dois dire qu’Amos m’a incité à écrire un jour que nous étions attablés dans un café de Barcelone et qu’il m’a expliqué comment travaille l’esprit d’un artiste, d’un créateur : le sien, en l’occurrence.

 

Le fossé culturel. Je ne crois pas à l’existence, entre l’Orient et l’Occident, par exemple, de fossés culturels mystérieux, voire infranchissables, qui les empêcheraient de conclure des accords, et notamment des traités de paix. Certes, les idéologies sont différentes : les êtres humains sont capables de construire des idéologies absolutistes et exclusivistes (dont, naturellement, des récits religieux) qui refusent à « l’autre » une place – ou du moins une place d’une « égale valeur ». Mais cela tient moins à des différences culturelles qu’à des constructions contingentes, à ce que des responsables politiques et économiques ou des leaders d’opinion paraissent tenir pour la mode idéologique ou l’intérêt du pays à un moment donné. Tout au long de son histoire, le monde islamique – si tant est que l’on puisse distinguer une telle entité – s’est montré ouvert à toutes sortes de traités avec le monde non islamique. Je crois donc que, si nous n’avons pas réussi à faire la paix dans notre région, cela tient plus à un échec humain qu’à des différences objectives qui ne sauraient être subordonnées à l’art humain de la politique.

Expresso : les parcours interactifs
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S'aimer soi-même est-ce être narcissique ? Bien sûr que non répondrait Rousseau. L'amour de soi est un formidable instinct de conservation. En revanche, l'amour propre est beaucoup plus pernicieux...Découvrez les détails de cette distinction décisive entre deux manières de se rapporter à soi-même.
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