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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Le complexe d’édition du génome Crispr-Cas9 en action (vue d’artiste). En génie génétique, une séquence d’ARN (ici en orange) sert de guide à la protéine Crispr-Cas9 (en bleu et rose) pour couper des segments d’ADN (en violet). © Science Photo Library via AFP

Sciences

Peut-on créer la vie ?

Cécilia Bognon-Küss publié le 21 septembre 2016 21 min

La biologie de synthèse a fait ces dernières années des avancées spectaculaires. Scientifiques, étudiants ou geeks manipulent les gènes pour fabriquer des bactéries sentant la banane mais aussi capables de combattre des maladies. Cependant, il ne s’agit désormais plus seulement de décrire – et de réécrire – le vivant, mais de l’inventer de toutes pièces et de dire ce qu’il doit être. Un débat qu’il serait insensé de laisser aux seuls savants.

 

Ils sont étudiants, les plus jeunes viennent du lycée. Par équipes, ils vont s’affronter dans une compétition qui réunit pas moins de cinq mille participants. Ces apprentis cracks du vivant se retrouvent l’été pour imaginer de nouvelles formes de vie : bactéries sentant la banane, capables de briller dans le noir, détectant des cellules cancéreuses ou dépolluant les eaux. Dans les laboratoires des plus grandes universités, ces jeunes trafiquent les micro-organismes, comme d’autres tunent leur voiture, et prétendent défier les contraintes du donné : refaire la vie en la métamorphosant. Ils inventent, écrivent et codent des séquences d’ADN, bricolent des génomes, les implantent dans des « châssis » (en général, une bactérie vidée de ses gènes « superflus »). Dans leur boîte à outils, on trouve une fabuleuse collection de « BioBricks » stockées en ligne. Ces pièces détachées sont autant de séquences d’ADN standardisé (grosso modo, des gènes et leurs fonctions) à partir desquelles ils vont fabriquer des organismes qu’une nature trop timide n’avait jamais songé produire.

Bienvenue à Boston, Massachusetts, temple de l’International Genetically Engineered Machine (iGEM) Competition, le concours international de biologie de synthèse à destination des étudiants. La création la plus innovante y remporte la brique du vainqueur, ambiance Lego oblige. Imaginée en 2004 par des pionniers du genre, Drew Endy et Randy Rettberg – alors ingénieurs au Massachusetts Institute of Technology (MIT) –, cette compétition geek et ludique a pour ambition de former une nouvelle génération d’ingénieurs du vivant, qui, après s’être amusée à fabriquer des bactéries exotiques, devrait savoir inventer des solutions économiques et responsables pour la production de ressources énergétiques et agricoles. Une biologie d’ingénieurs au service de besoins humains exponentiels mettant au tapis les vieilles industries. Songez plutôt : des algues transformées en usines à carburant, des systèmes biologiques capturant le CO2, des biofilms détectant la pollution… La biologie de synthèse n’ambitionne rien moins qu’une reconversion radicale du vivant en outil. En le domestiquant, en plagiant son inventivité et sa versatilité, elle cherche à enfanter des machines d’un nouveau genre : souples, autonomes, hyperproductives.

Ariel Lindner, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et cofondateur du Centre de recherches interdisciplinaires (CRI), encadre l’une des plus remarquables équipes iGEM, Paris Bettencourt. S’il ironise sur le fait que la biologie de synthèse ne l’intéresse pas, c’est parce qu’elle est, entre ses mains, un outil plastique et modulable : « La biologie de synthèse met à notre disposition des moyens permettant de bricoler des systèmes biologiques, en particulier des programmes génétiques. Elle représente une opportunité extraordinaire pour les étudiants d’apprendre de la biologie, et plutôt que d’apprendre dans les livres, ils apprennent en faisant : ils imaginent et construisent leurs propres systèmes biologiques. Ils peuvent explorer différents aspects de la recherche allant de la résolution de questions fondamentales – la modélisation de l’évolution de la coopération – à des applications concrètes. Ils tâcheront alors, en effet, de fabriquer une bactérie qui sent la banane. » Son équipe s’est notamment illustrée lors de l’édition 2013, avec la conception d’une bactérie capable de diagnostiquer et de combattre la tuberculose.

 

Jouer au Lego avec les gènes

À écouter ces jeunes compétiteurs, fabriquer du vivant à partir de ses « ingrédients », c’est un peu comme emboîter des briques de Lego. Munis d’un « kit de survie » offrant une sélection des meilleurs circuits de gènes imaginés par leurs prédécesseurs, ils se lancent dans la fabrication de leurs superbactéries : ils assemblent leurs BioBricks en de complexes cascades, où l’expression d’un gène déclenche ou inhibe celle du suivant, etc. Pas besoin pour cela de synthétiser soi-même de l’ADN. Aujourd’hui, avec la chute massive des coûts, il suffit d’envoyer ses séquences à une entreprise qui se chargera de le faire à votre place. Aux États-Unis, Gen9, la société de Drew Endy, facture ce service 3 cents la paire de nucléotides (dite « paire de base ») – comptez quand même quelques milliers de paires de base pour concocter un petit génome…

La biologie de synthèse se pense et se développe ainsi comme un grand Do It Yourself (DIY) du vivant, qui jongle avec les quatre lettres de l’ADN : A (adénine), T (thymine), G (guanine) et C (cytosine) – les bases azotées de toute vie. L’analyse et la décomposition des systèmes vivants qui ont caractérisé la biologie depuis la fin du XVIIIe siècle ont en effet permis d’en dresser une cartographie dynamique et d’en isoler les parties les plus ténues – l’ADN et les gènes – consacrant, dans les années 1960, un nouveau réductionnisme : le tout génétique. Dans chaque cellule d’un organisme humain (qui en compte plusieurs milliards), au cœur du noyau, logent vingt-trois paires de chromosomes. Elles-mêmes sont composées de plusieurs milliers de gènes, qui, ensemble, forment l’ADN : une macromolécule faite de deux longues chaînes entrelacées et complémentaires, des phrases écrites avec les quatre lettres de cet alphabet qui s’apparient toujours de la même manière (A avec T, C avec G), permettant de produire les centaines de milliers de protéines qui composent et agitent le vivant.

La découverte de la structure en double hélice de la molécule d’ADN – en 1953, par James D. Watson et Francis Crick, sur la base des travaux de Rosalind Franklin – sonnait comme une promesse de dévoilement du secret de la vie. La biologie moléculaire semblait avoir cloué le bec aux curieux et aux vitalistes de tout poil, puisque, comme l’explique Michel Morange, professeur de biologie à l’École normale supérieure et directeur du Centre Cavaillès d’histoire et de philosophie des sciences, « le secret de la vie résidait dans l’existence d’une information génétique et d’un code capable de la traduire ou de l’exprimer… Bref, d’un “programme” ». L’apparition de la vie, énigme qui hante la religion et la philosophie, semblait se ramener à la question, en rien métaphysique, de la formation du code génétique. « La vie n’était plus que la somme des propriétés des macromolécules présentes dans les organismes qui n’attendaient qu’à être révélées. » Bien que cette conception ait depuis lors montré ses insuffisances, la biologie de synthèse semble avoir trouvé dans ce réductionnisme de principe un creuset propice à son développement. Après l’ère du séquençage (le décryptage de la succession des bases de l’ADN), la biologie pouvait entrer dans celle de la synthèse et de la modification de la vie. Découper de l’ADN en rondelles pour le décoder, c’est bien ; réassembler ces pièces détachées pour inventer de nouveaux modèles vivants et faire pousser des branches inédites sur l’arbre de la vie, voilà, selon ces réformateurs de la biologie, la voie d’une juste attitude face au vivant. La biologie de synthèse crée de nouveaux êtres, et c’est là son aspect le plus grisant. Soyons clairs : les acteurs de cette discipline jeune et bigarrée ne manipulent pas le vivant pour dissiper le mystère de ses origines, mais pour le réinventer, l’améliorer. Leur défi : faire mieux que 3,8 milliards d’années d’histoire de l’évolution, explorer des voies que la vie n’a jamais empruntées. Surmonter l’irrationalité des productions de la nature, leur opposer la rationalité d’un « dessein intelligent ». Pourquoi pas ?

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