Qu’est-ce qu’elle dit l’Asie ?
La poursuite du bonheur ? Ce n’est pas vraiment le souci de la Chine, démontre le philosophe François Jullien : c’est qu’à l’inverse de l’Europe, elle se détourne de toute idée de finalité pour mieux épouser les transformations continues.
« Je ne crois pas que le bonheur soit la notion souche de l’humanité, un fond commun transculturel et transhistorique. Tel que nous l’entendons en Occident, il est issu d’une démarche singulière de la philosophie grecque qui l’a promu au stade d’absolu. Cette pensée repose sur deux supports, d’une part, l’idée de finalité – le bonheur est un objectif à atteindre, le but de la vie –, d’autre part, l’idée d’âme – le bonheur concerne en l’homme autre chose que sa vie biologique. Nous lisons un embryon de la notion d’âme chez Homère, comme étant le souffle de vie qui s’échappe du corps lors de la mort pour aller on ne sait trop où dans le royaume d’Hadès. Puis, la psychè devient une instance douée de conscience, voire de personnalité, aboutissant, à l’époque de Platon, à la question de son immortalité. L’âme se constitue ainsi comme le propre de l’homme, et, dans son activité première de connaissance et de contemplation (la theoria), elle est l’instance du bonheur.
« Toutes nos activités […] sont tendues vers quelque Bien »
Aristote
Quant à la finalité, le télos en grec, elle signifie à la fois le but et la perfection ; c’est achevé lorsque c’est parfait. Voyez la première phrase de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote : “Toutes nos activités […] sont tendues vers quelque Bien.” Elle dit tout de notre conception de l’éthique, comme étant ce qui conduit au bonheur. Remarquons que, chez Aristote, ce bonheur est conçu au livre I comme lié au politique, au cœur de la Cité, tandis qu’au dernier livre, il concerne la personne. On voit là pointer le grand drame de la pensée grecque, lorsque le bonheur dans la Cité commence de s’effriter pour se retirer dans ce qui deviendra “le sujet”. C’est un peu ce que nous vivons actuellement en Europe avec ce repli sur l’idéologie molle du développement personnel qui fait littéralement son marché du désenchantement politique depuis que nous avons décroché des grandes finalités (la révolution, l’utopie ou le salut). Pourtant, la déclaration de Saint-Just, “le bonheur est une idée neuve en Europe”, reste d’une grande force. Lorsque la Constitution de 1789 fixe en préambule “le bonheur de tous” comme fin de l’humanité, elle dessine une forme idéale au vivre ensemble et à la liberté, c’est-à-dire qu’elle rend possible la démocratie et l’autonomie du sujet. C’est à cela que sert l’idée occidentale du bonheur, et qui vaut qu’on y tienne !
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