Rodéos urbains : au cœur de la guerre du bitume

Alors que la lutte contre les rodéos urbains se fait de plus en plus répressive, nous avons suivi un groupe de motards afin de comprendre ce qui se joue dans la conquête du bitume. Entre des prétentions artistiques réelles, une apologie excessive de l’adrénaline et l’errance d’une jeunesse désoeuvrée, la « bike-life » se revendique d’un art de vivre alambiqué, fait de comportements vindicatifs mais d’une absence totale de revendications politiques.

Cagoules noires vissées sur les têtes, trois acrobates perchés sur des cylindrées vrombissantes déboulent en roue arrière devant le Zénith de Dijon. Après quelques négociations, sous les yeux ébahis des automobilistes, ils acceptent de m’escorter à « la ligne » : portion de bitume officieusement acquise par la bande, imprégnée de traces de pneus comme on marquerait un territoire. En périphérie du centre-ville, leur fief se constitue en trois routes parallèles, assez longues pour y faire leurs figures, assez courtes pour rapidement y tourner en rond. Là, ils sont une quinzaine à enchaîner les figures dans un imposant brouhaha.

“Faire de la moto, c’est devenu pire qu’un viol” Slogan officieux des adeptes des rodéos urbains

« On se retrouve ici quand on ne descend pas en ville. Au moins, on emmerde personne. On veut juste que notre passion soit reconnue, qu’on puisse en faire librement quelque part sans être chassés comme des violeurs par les flics », lâche d’entrée de jeu Samuel, du haut de ses 16 ans. Entre voltigeurs et policiers, la guerre du bitume est d’une animosité insoupçonnée. Cet été, la mise en place d’un plan « anti-rodéos urbains » par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin donne le ton d’une répression sans concession. Depuis, plus de 4000 opérations de police ont lieu chaque semaine sur le territoire national spécifiquement pour lutter contre le phénomène. Les peines encourues ont encore été revues à la hausse jeudi dernier, allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Les cascadeurs des rues ont leur slogan : « Faire de la moto, c’est devenu pire qu’un viol. »

Jeu dangereux

À Dijon, les tentatives d’impressionner les camarades se font toujours plus hasardeuses au fil de la soirée. Jusqu’à ce que « Nono », 20 ans, perde le contrôle de sa moto. Un coup d’accélérateur mal calculé le propulse au sol où il reste cloué quelques minutes, comme à l’agonie. Le jeune homme traîne les séquelles d’une épaule cassée après une mauvaise acrobatie, il y a quelques semaines, mais finit par se relever pour reprendre la route. Puis c’est au tour du petit Samuel de se faire écraser la jambe droite par sa « Yamaha Piwi » bleue. Fin de course, cette fois-ci : il doit se faire opérer aux ligaments en novembre, lui aussi pour une précédente chute sur cette même jambe devenue inutilisable une bonne fois pour toutes.