Sale boulot
Christophe Dejours, psychiatre et spécialiste du travail, cherche à identifier les mécanismes de résistance et de collaboration à l’œuvre dans le monde du travail. Une critique audacieuse et polémique.
Nous vivons aujourd’hui en France en temps de paix. Les formes de violence dont nous faisons l’expérience n’ont rien à voir avec celles, dévastatrices, de la guerre. Cependant, y a-t-il autour de nous des actes de cruauté et de courage ? Dans notre environnement social et dans le monde du travail, rencontrons-nous, toutes proportions gardées, des figures de bourreaux et de héros ? Psychiatre et psychanalyste, directeur du laboratoire de psychologie du travail, Christophe Dejours a provoqué la polémique en publiant Souffrance en France (Seuil), un essai dans lequel il s’interroge sur le climat de « guerre économique » actuel. Théoriques, ses analyses n’en sont pas moins subversives, en ce qu’elles s’inspirent d’études consacrées à la Seconde Guerre mondiale pour décrire la « banalisation du mal », la rationalisation et la justification du « sale boulot » au sein des organisations professionnelles.
Philosophie magazine : Votre livre a déclenché de vives réactions, à cause du parallèle que vous faites entre la Seconde Guerre mondiale et le monde du travail. Comment justifiez-vous ce parti pris ?
Christophe Dejours : Au cours de mes recherches, je suis tombé sur une citation qui m’a beaucoup intéressé. C’est une phrase de Primo Levi, dans Naufragés et Rescapés : « Il apparaît à des signes nombreux qu’est venu le temps d’explorer l’espace qui sépare (pas seulement dans les Lager nazis !) les victimes des persécuteurs. Seule une rhétorique schématique peut soutenir que cet espace est vide : il ne l’est jamais, il est constellé de figures abjectes et pathétiques (elles possèdent parfois les deux qualités en même temps), qu’il est indispensable de connaître si nous voulons connaître l’espèce humaine, si nous voulons savoir défendre nos âmes au cas où une épreuve semblable devrait se présenter à nouveau, ou si nous voulons simplement nous rendre compte de ce qui se passe dans un grand établissement industriel. » Pris dans une rafle en 1943 et déporté à Auschwitz, Primo Levi a travaillé après la guerre dans une usine de chimie, dont il est devenu le directeur. Le parallèle qu’il esquisse entre le « Lager nazi » et le « grand établissement industriel » n’est donc pas fortuit : lui-même a pu observer le monde du travail et sait qu’on y trouve, pas des bourreaux, mais des « figures abjectes et pathétiques », des relations de domination.
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