Wolfram Eilenberger : “Le courage est une vertu démocratique”
Et si, à force d’étaler notre fragilité, nous étions en train de nous couper du monde et des autres, de nous refermer sur nous-mêmes et de vider de sa substance la vie démocratique ? Tel est le constat à contre-courant du philosophe allemand Wolfram Eilenberger.
La fragilité est un thème à la mode. Se reconnaître vulnérable est bien vu, tout comme de ménager la sensibilité d’autrui. D’où cela vient-il ?
Wolfram Eilenberger : Je pense que, si une telle tendance existe, la question centrale n’est pas d’éviter de blesser les autres. C’est plutôt que nous sommes habitués à exercer une surveillance constante sur nos états émotionnels, que nous ne supportons pas d’être contrariés, ni d’être lésés ou discriminés. En d’autres termes, ce qui est au centre de l’attention, ce n’est pas « l’Autre » mais bien « le Moi » comme victime potentielle. Les racines culturelles de cette attitude remontent aux années 1970, que le romancier Tom Wolfe a surnommées la « décade du Moi » – quand les psycho-industries du « développement personnel », de l’« épanouissement personnel » ou encore de la « recherche de soi » ont réellement décollé et touché le marché de masse. Cinquante ans plus tard, les techniques d’observation de soi permanente, renforcées par les réseaux sociaux, sont devenues endémiques dans le monde occidental. Et la promesse de base du néolibéralisme, « Tu peux y arriver si tu le veux vraiment » [You Can Get It If You Really Want] pour reprendre le titre d’une chanson de Jimmy Cliff de 1970, ne nous paraît plus crédible. Sur le plan psychologique, nous en sommes plutôt au dernier stade de notre période « Tout le monde souffre », pour citer un autre titre de chanson, du groupe REM [Everybody Hurts, 1992]. Les enfants de la révolution du Moi ont découvert, partout en Occident, le concept foucaldien de « micro-agression » et s’en servent comme d’un prétexte pour exprimer leur mécontentement face à l’état des choses. Mais aussi comme d’un moyen pour porter plainte ou mener des actions en justice afin de faire reconnaître leurs droits. En d’autres termes, c’est le narcissisme de la classe moyenne qui a transformé la vulnérabilité intrinsèque de l’être humain en une arme pseudo-politique. Ne soyez donc pas surpris si l’un des hashtags les plus populaires sur Twitter est #followme, [« suivez-moi »].
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