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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Vosges, avril 1915. Des soldats du 23e régiment d’infanterie posent dans un abri de fortune fait de branches de pin. © Frantz Adam/AFP

L’extrait

11 novembre : la Grande Guerre vue par Alain

Arthur Hannoun publié le 11 novembre 2021 4 min

Le philosophe Alain s’est engagé en 1914 dans ce qui deviendra la « Grande Guerre », avant d’être réformé en 1917. Profondément marqué par cette expérience, il publie en 1921 Mars ou la guerre jugée, une réflexion à la fois fine et bouleversante sur la guerre. Extraits.

La guerre comme “sentiment esthétique”

Alain évoque l’enthousiasme par lequel l’individu en quête d’aventure en vient à confondre amour de la patrie et questionnement existentiel. La guerre est un divertissement parmi d’autres, à ceci près qu’elle a l’avantage de donner un but… et des compagnons. Autant d’éléments que la vie, sorte de néant originel, n’apporte pas spontanément à l’être humain.

“Nul n’est à l’abri de cet enthousiasme prodigieux qui fait que l’on veut marcher sans savoir jusqu’où, à la suite d’une troupe bien disciplinée et résolue. Ces effets sont bien connus, mais communément attribués au prestige de la patrie, naturellement présente ici à l’esprit de tous. Ce n’est pas le seul cas où le Dieu naît de l’enthousiasme ; et je crois que ce sentiment est proprement esthétique, j’entends qu’il n’est ni fortifié ni même modifié par les pâles idées qui l’accompagnent, concernant le devoir et le sacrifice ; tout au contraire, ces idées en sont illuminées et réchauffées ; en sorte que l’objet réel du culte, c’est bien l’action même, commune, réglée, rythmée, enfin perçue et sentie par toute la surface de notre corps. 

Tout est parfait en cette danse ; l’ordre y est sensible ; la musique y est exactement adaptée ; la volonté de tous est perçue par chacun. Volonté de quoi ? D’agir en commun, sans rien d’autre ; et cela suffit pour que le bonheur de société soit éprouvé sans mesure, balayant tous les médiocres soucis, tout sentiment de faiblesse, toute crainte. L’homme se sent et se perçoit avec les autres, invincible et immortel. Ce tambour le fait dieu”

Alain, Mars ou la guerre jugée, chapitre III (1921)

 

Le philosophe Alain pendant la Première Guerre mondiale. Affecté au 3e régiment d’artillerie lourde et gravement blessé au pied à Verdun le 23 mai 1916, il fait un court séjour aux services météorologiques de l’armée. Il sera démobilisé en 1917. © DR

 

Alain pendant la Première Guerre mondiale. Affecté au 3e régiment d’artillerie lourde et gravement blessé au pied à Verdun le 23 mai 1916 (il se le broie dans une roue de chariot), il fait un court séjour aux services météorologiques de l’armée. Il sera démobilisé en 1917. © DR

Le soldat comme “moyen et matière”

Dans un autre passage, Alain évoque « le métier de soldat » comme une initiation, qui le déshumanise, à la cruauté d’un monde absurde. Séparés de leurs familles, arrachés à leur pudeur et soumis aux lois d’un pouvoir « hautain et lointain », ces hommes finissent irrémédiablement par succomber à une sorte de révolte froide et sauvage, dernier degré de l’avilissement humain.

“J’ai vu sur les murs une affiche honorable, mais qui vise à côté. On y dénonce cette corruption des jeunes gens, visible par les spectacles et les chansons. Mais je pensais aussitôt à ce que j’ai vu de la caserne quand la classe quatorze y vint apprendre le métier de soldat. Ici sont les racines de la guerre, et ses moyens secrets. Jeunes hommes séparés de leurs familles, captifs et exilés. Soudain jetés dans l’ordre humain le plus effronté, le plus cynique, le plus puissant aussi par la hiérarchie, par la moquerie, par la domination des plus corrompus. L’homme est dévêtu alors de ce qui l’orne et le protège, comme la sinistre cérémonie du conseil de révision l’annonce assez. Dépouillés de toute pudeur, à l’âge où il faut que la pudeur soutienne la sagesse. D’un côté soumis à un pouvoir hautain et lointain qui ne voit en eux que moyen et matière ; et de l’autre soumis à un pouvoir d’opinion proche, familier, bientôt grossier par le règne des impudents et des brutaux. Ainsi se forme et grandit de mois en mois un sauvage esprit de révolte, mais purement animal et bas, découronné, qui gronde et n’agit point ; cette mauvaise volonté sans tête est le pire des produits humains”

Alain, Mars ou la guerre jugée, chapitre IV (1921)

L’engagement comme signal de “la crainte”

Ici, enfin, Alain présente l’homme comme un animal « dangereux pour lui-même », du fait de son incapacité à gérer l’attente et les situations intermédiaires. À la crainte d’une souffrance possible, il choisit toujours la souffrance certaine – mais immédiate. Dans le cas de la guerre, ce comportement est pour lui la source de toutes les folies. Derrière l’héroïsme demeure la peur.

“Les mouvements de l’homme vont par explosion, toujours au-delà des causes extérieures. Il est fou d’expliquer les guerres par ces difficultés de chancellerie, qui ne manquent jamais. Il faut considérer cet animal si dangereux pour lui-même, et qui choisit communément un malheur certain plutôt que d’avoir à le craindre longtemps. Mais il est remarquable comme ces mouvements humains échappent au moraliste, toujours dominé par l’idée puérile d’une petite machine à calculer. Les sentiments, cependant, décident de tout, et au premier rang l’impatience qui entre dans toutes nos affections, d’amour, de haine, d’espoir ou de crainte, sans en excepter une seule. 

Voici une scène que j’ai vue une fois, et qui fut sans doute ordinaire, en cette guerre où, comme dans toutes, les opinions qu’on ne dit pas furent le moteur principal. Plusieurs officiers d’artillerie assemblés, parmi lesquels un qui est le plus jeune. On lit une lettre officielle qui demande des volontaires pour l’aviation. Tous les regards vont au jeune, qui s’offre comme s’il n’attendait que l’occasion. C’est choisir la mort. Souvent on a demandé ainsi des volontaires, et toujours des mains se lèvent, malgré la crainte, mais je dirais plutôt à cause de la crainte”

Alain, Mars ou la guerre jugée, chapitre VII (1921)

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