Humanisation, union nationale : stratégies électorales par temps de crise démocratique

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère, rassemblés autour d’une thématique commune. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, une question : que révèle ce premier tour de l’élection présidentielle ? Les deux candidats encore en lice se sont imposés avec des stratégies bien différentes, au fil d’une campagne morne, qui a peiné à susciter un engouement majeur. Quelles stratégies adopteront-ils pour l’emporter dans la dernière ligne droite ? Éléments de réponse.

Myriam Revault d’Allonnes : “Le triomphe de la postvérité est une grave entrave à la vitalité démocratique”

« Nous vivons un processus de dé-démocratisation » : c’est le constat que faisait, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes dans un entretien accordé à L’Obs. En témoigne, de toutes parts, « les atteintes portées non seulement aux institutions ou à l’équilibre des pouvoirs, mais aussi à l’expérience démocratique elle-même ». Car, ajoute-t-elle, « la démocratie n’est pas simplement une organisation politico-juridique ni un mode d’exercice du pouvoir, c’est aussi l’expression d’une conflictualité qui n’est pas la guerre mais la confrontation avec des adversaires. Elle permet d’élaborer des accords provisoires sans cesse renégociés », non seulement au moment, ponctuel, du vote, mais de manière continue, entre les élections. Du refus du dialogue de Macron aux discours violents et caricaturaux de l’extrême-droite, cette vie démocratique est rongée par « un effacement de cette culture de la confrontation ».

Nathan Devers : “À l’heure où le front républicain commence à s’effriter, ne vous grandiriez-vous pas à adopter un programme d’union nationale ?”

Quelle stratégie doit adopter Emmanuel Macron s’il veut l’emporter dans la course à la fonction suprême ? C’est la question que pose le philosophe Nathan Devers dans une tribune parue dans Le JDD, adressée au président sortant. Gagner, selon Nathan Devers, « ne saurait se réduire à miser sur la préférence que pourrait susciter votre programme par rapport à celui de votre rivale. Ni à constater, avec un air de fausse fatalité, la presque-mort du front républicain. Ce front est bel et bien vivant, mais il n’a de sens que s’il est réciproque. » Tous ceux qui hésite à faire barrage à l’extrême droite, et tous ceux qui le feront avec résignation, ont besoin de gages. « Ce geste oblige son bénéficiaire à devenir, non plus le champion d’un parti, ni celui d’un programme ou d’une idéologie, mais le représentant d’une coalition bigarrée, le gardien d’une alliance dont tout oppose les membres. D’un point de vue strictement logique, le front républicain n’a de portée que s’il conduit à la nomination d’un gouvernement d’union nationale. »

Andrew Hussey : “Le Pen a réussi à se saisir de la souffrance des gens ordinaires”

De son côté, l’historien britannique Andrew Hussey s’interroge, dans The New Statesman, sur les ressorts tactiques de la campagne de Marine Le Pen, qui ont mené la candidate du Rassemblement national aux porte du pouvoir. « Elle est descendue des estrades, les lumières se sont éteintes, et elle a parlé directement au public de sa vie privée. Elle a expliqué avoir souffert d'avoir grandi dans une famille “assez particulière” et d’avoir été persécutée dans son enfance pour les opinions politiques du clan Le Pen. Surtout, elle a confessé s’être parfois égarée, être parfois tombée, mais s’être toujours relevée. » C’est cette stratégie d’humanisation, parachèvement de la logique de dédiabolisation, qui lui a permis de s’imposer. Cette rhétorique discrète a « touché une corde sensible auprès d'un public plus large, principalement des électeurs de la classe ouvrière issus de zones rurales, qui ont le sentiment d'avoir eux aussi souffert sous Macron », le président des riches, jugé condescendant.

Michaël Fœssel : “Nous serons nombreux à être toujours partant pour crier ‘¡No Pasaran!’”

Les électeurs de Mélenchon seront, en grande partie, la clef du scrutin présidentiel. Combien d’entre eux voteront Le Pen ? Combien s’abstiendront ? Combien feront barrage à l’extrême droite ? Réponse inquiète du philosophe Michaël Fœssel, sur son blog Mediapart : « Des décennies de banalisation ajoutées aux derniers sondages nous indiquent pourtant où nous en sommes aujourd’hui en cas de second tour Macron-Le Pen : dans la marge d’erreur. C’est peut-être le moment pour les électeurs de gauche de se dire que leur marge d’erreur est, elle aussi, plus étroite qu’à l’accoutumée. La reine de toutes les illusions consiste à ne plus rien voir de décisif dans l’élimination du racisme d’une finale présidentielle. » Et de conclure : « Mieux vaudrait, cette fois-ci, ne pas jouer avec le feu. Ce serait une manière de faire mentir la règle selon laquelle, en France, les divines surprises ne bénéficient qu’à l’extrême droite. »