À la droite de Poutine : qui sont ces idéologues extrémistes qui déstabilisent le Kremlin ?

Depuis un an, des personnalités politiquement situées à la droite de Vladimir Poutine font de plus en plus parler d’elles, rompant l’Union sacrée voulue par le Kremlin. Qui sont ces hommes ambitieux ? Quelle sont leurs idées ? En quoi leur rivalité pourrait faire tanguer la Russie ? Enquête.

C’est beaucoup plus qu’un cafouillage. Le 13 janvier 2023, le porte-parole du ministère de la Défense russe, de sa voix d’automate bien connue des téléspectateurs, annonce la prise de la ville de Soledar, dans la région de Donetsk. Le moment est particulier, car il s’agit de la première victoire russe depuis plus de six mois en Ukraine. Immédiatement, l’homme d’affaires et chef du groupe paramilitaire Wagner Evgueni Prigojine proteste et écrit : « On tente toujours de dérober la victoire » à ses hommes, les seuls et vrais vainqueurs de cette bataille. « J’appelle à soutenir les gars qui souffrent sur le front, à rappeler dans les commentaires qu’ils existent et effectuent leur pénible tâche pour que les Russes puissent dormir tranquille », poursuit-il, furieux. Quelques heures plus tard, les services de communication de l’armée régulière reconnaissent que l’« objectif militaire a été atteint avec succès grâce aux actes courageux et désintéressés des groupes d’assaut volontaires de la compagnie militaire privée Wagner ». Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, est contraint à son tour d’intervenir pour affirmer – mais personne n’est dupe – que le conflit entre l’armée régulière et les « musiciens » de Wagner « est le produit d’une manipulation de l’information organisée par [leurs] adversaires ».

D’autant qu’Evgueni Prigojine n’est pas le seul à critiquer, depuis des mois, les insuccès de l’armée russe en Ukraine. Les anciens de la première guerre du Donbass, qui a fait suite à la révolution démocratique du Maïdan en 2014, ne s’en sont jamais privés. Les idéologues nationalistes qui saturent les plateaux de télévision non plus. Selon eux, il faut frapper l’Ukraine sans tergiverser, avec l’arme nucléaire si nécessaire. Poutine, qui a radicalisé son discours et se considère en guerre contre l’Otan et l’Europe, serait-il, idéologiquement, dépassé par sa droite ?
 

Cela fait des années que l’opposition démocratique – en Russie, on dit « libérale » – a été décimée et n’a plus voix au chapitre. Mais la droite extrême a au contraire le vent en poupe depuis un an. Elle signale sévèrement les erreurs de l’état-major de l’armée et affirme que le président russe est trop pusillanime. Plus les militaires ont du mal à remplir leurs objectifs en Ukraine, et plus ces idéologues donnent de la voix. Au point d’imaginer, si l’opération militaire échoue ou s’enlise, prendre la place du grand leader ? C’est peu probable, car le président russe tient fermement les rênes. Mais cette pensée ne peut pas ne pas les effleurer. Alors ils se positionnent, à leurs risques et périls, au cas où. Quoi qu’il en soit, il est certain que ce débordement n’était pas prévu par les initiateurs ni par les observateurs du conflit. Et qu’il est gros de désordres futurs en cas d’affaiblissement de Vladimir Poutine.
 

Qui sont les principales figures de ce mouvement ? Et que proposent-elles à ceux qui les soutiennent dans l’opinion publique ? Des options très diverses, et désormais concurrentes les unes des autres. Ils demeurent relativement marginaux, mais leur influence grandit incontestablement — au moins parce qu’ils ont prévu et appelé de leurs vœux la radicalisation de Vladimir Poutine. Voici leurs quatre principaux représentants.

Evgueni Prigojine, le soudard anti-élites 

Evgueni Prigojine, fondateur de la société militaire privée Wagner, le 24 décembre 2022, à Saint-Pétersbourg, Russie.  ©Aleksey Smagin/Kommersant/Sipa

La figure actuellement la plus en vue, parmi les critiques à droite de Poutine, est celui qu’on appelle le « cuisinier de Poutine ». Né en 1961 à Leningrad, comme le président russe, cet homme au crâne chauve, au regard matois et au corps tatoué, a passé plusieurs années en prison à l’époque soviétique pour fraudes, cambriolages et violences sur personnes. Il s’improvise businessman dans le chaos des années 1990. Il fonde un réseau de vente de hot-dogs avant de se lancer dans diverses affaires souvent liées à la restauration, de cantines comme de restaurants chics. Très proche de Vladimir Poutine, qu’il rencontre régulièrement, on le voit sur des photos en train de servir du vin ou des plats aux invités d’honneur du président, notamment Jacques Chirac ou George W. Bush. Dans les années 2010, il est épinglé pour sa participation à des opérations de déstabilisation des opinions occidentales sur les réseaux sociaux grâce à sa « ferme à trolls » de Saint-Pétersbourg. Il dirige également un groupe de presse à la tonalité nationaliste, Media Patriot. Il est surtout célèbre pour avoir créé et dirigé l’armée privée Wagner, qui a opéré en Syrie, en Libye, en Centrafrique, au Mali ou encore au Venezuela. Il aurait récemment ouvert des bureaux de recrutement en Serbie, pays candidat à l’Union européenne où les pro-russes sont nombreux.