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“La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce” © Élisabeth Carecchio

Arts. Théâtre

“La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce”: fresque sociologique et philosophique

Cédric Enjalbert publié le 17 octobre 2013 4 min
Du spectacle et des bonimenteurs, un grand numéro de société émaillé de récits intimes : “La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce”, de Joël Pommerat, entreprend une plongée épique, sociologique et philosophique dans l’univers merveilleux de la vente à domicile. Un monde en miniature, le nôtre, en représentation aux Bouffes du Nord jusqu'au 16 novembre 2013.

Nul besoin de grands artifices : cinq hommes sur un plateau quasi vierge, sans autres effets que le jeu. Un plateau ramassé entre quatre murs, dont celui fameux du théâtre, invisible : une chambre d’hôtel en guise de vitrine de l’évolution du monde. À huis-clos dans cette chambre pour représentants de commerce, toute l’histoire de la société défile par le petit bout de la lorgnette, depuis les Trente Glorieuses jusqu’à la grande « crise ».

Répondant à une commande du Centre dramatique national de Béthune (Nord-Pas-de-Calais), le metteur en scène Joël Pommerat, vent en poupe, fait le pari heureux d’une forme théâtrale hybride entre le documentaire et la fiction. Il s’est appuyé sur la recherche des sociologues Frédéric Neyrat et Marie-Cécile Lorenzo-Basson sur la vente à domicile, élargissant plus largement sa vision au « système commerçant », dans lequel chacun est pris.

Que dit l’évolution des pratiques de ventes de l’évolution des esprits et du monde ? Quelles idées fermentent entre ces quatre murs ? La fable débute lorsque des représentants de commerce aguerris entendent (dé)former un vendeur encore vert, venu renflouer l’économie de son jeune ménage, juste au tournant de Mai-68. « Un idéaliste de merde. Un mec dangereux. »

« Dans un monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux »

Guy Debord

On lui apprend pourtant le savoir-faire infaillible : donner confiance au client. Une confiance de synthèse, prête à l'emploi car il s'agit pénétrer des intimités sans s’embarrasser de morale. Elle repose sur une monnaie de singe : la « fabrication » de l’authentique et l'authentification du faux. Pas d’idéalisme qui tienne. Guy Debord livre ce diagnostic sur la modernité lorsqu'il écrit en 1967 dans La Société du spectacle, au plus fort de Trente Glorieuses, que « dans un monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». Première partie du spectacle: la « vente à papa » gagnée par le vent consumériste.

Un noir. Avec cette forme de théâtre documentaire à la sophistication discrète, avec ses fondus, ses précipités et ses effets cinématographiques, la « fabuleuse histoire » se poursuit. Des générations ont passé. La chambre d’hôtel a vu son mobilier à peine modernisé. Rien de trop. Les VRP du monde d’hier sont désormais les apprentis d’un jeune battant, gorgé d'idéologie individualiste. L'ingénu du premier volet a mûri ; il apprend aux nouveaux exclus du système les règles du jeu : la motivation n’est plus tant l’argent que la réussite personnelle zélée. S’adapter et se réaliser deviennent le crédo de la vente. On ne vend d’ailleurs plus des systèmes de protection et du matériel de défense, mais du droit humain et personnel sous forme de bible : un « Guide universel des droits humains fondamentaux »...

« Pris en étau entre des contraintes professionnelles de plus en plus grandes, et des exigences morales qui vont dans un sens contraire »

Pascal Chabot

En tissant cette tragédie contemporaine, Joël Pommerat détricote l’idéologie de la société « technico-capitaliste », qui fait de l’adaptation une vertu et de la réussite professionelle un salut. Comme le relève le sociologue Pascal Chabot dans le dossier « Votre travail a-t-il encore un sens? » : « Notre société demande en permanence à ses membres de s’adapter. Et, certes, l’être humain possède une grande capacité plastique. Mais le problème est qu’on lui demande de s’adapter pour s’adapter. La finalité peut alors s’estomper et ne pas s’inscrire pas dans une perspective plus large, où la personne pourrait se réaliser. D’où l’impression de perte de sens. La victime de burn-out est prise en étau entre des contraintes professionnelles de plus en plus grandes et des exigences morales qui vont dans un sens contraire. »

Sans surprise l’ancien jeune « idéaliste de merde » formé à l’école de la vente à papa, devenu le manager d’une équipe de quinquagénaires désabusés, est le premier à sombrer, à la toute fin de cette « grande histoire ». « Les victimes de burn-out ne sont ni des paresseux ni des inadaptés. Ce sont les bons élèves, ceux qui s’investissent le plus, les plus idéalistes. […] Cette crise de foi me semble aujourd’hui affecter les “croyants” les plus zélés dans une société qui idolâtre le travail. »

Ce drame moderne aux ravissants effets de réel ne manque rien de ce « progrès », avec subtilité et humour, de la compassion et aucune noirceur. À la lumière de ce grand metteur en scène, une maladie du siècle se transforme en spectacle, balisant sous les feux de la rampe le chemin qui mène à l’homme.

 

Informations
La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce
Une création de Joël Pommerat
Avec : Patrick Bebi, Hervé Blanc, Éric Forterre, Ludovic Molière, Jean-Claude Perrin
Collaboration artistique : Philippe Carbonneaux
Lumière : Éric Soyer assisté de Renaud Fouquet
Scénographie : Éric Soyer
Costumes : Isabelle Deffin
Son : François Leymarie
Recherches sonores : Yann Priest
Musique : Antonin Leymarie
Décors et accessoires : Thomas Ramon
Vidéo : Renaud Rubiano
 
Théâtre des Bouffes du Nord
37bis, boulevard de la Chapelle - 75010 Paris
Jusqu'au 16 novembre 2013, du mardi au samedi à 20h30. Matinée le samedi à 15h30
Réservation: 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com
Durée : 1 h 20

 

Pour aller plus loin
Les dossiers Votre travail a-t-il encore un sens ? et Le travail nuit-il à la santé ?
Le dossier auteur consacré à Jean Baudrillard et son analyse de la société de consommation
Lire aussi l'entretien avec Frédéric Neyrat

 

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