Le mystère des fresques de Saint François d’Assise
Si l’on prête aux murs des oreilles, que peuvent-ils, eux, nous dire ? Dans son dernier ouvrage sobrement intitulé François (Les Belles Lettres, publié le 18 novembre), Chiara Frugoni décortique chaque centimètre carré des fresques qui recouvrent la basilique d’Assise abritant la dépouille de Saint François. Toutefois, ce à quoi s’emploie avec minutie la médiéviste italienne, c’est à faire parler leurs silences. « Pourquoi laissa-t-on nus les murs de cette église pendant vingt ans au moins ? », se demande-t-elle en préambule de son travail. François meurt en 1226, il est canonisé deux ans plus tard seulement, et son corps est déposé dans la basilique dès 1230. Les murs de cette dernières, en revanche, ne s’ornementeront que quelques dizaines d’années plus tard. À partir de cette ellipse, l’historienne mène dans cet ouvrage une enquête érudite et passionnante, où les fresques apparaissent comme l’outil iconographique d’une propagande cléricale. Ces fresques magistrales, réalisées par les plus grands maîtres italiens de l’époque à l’aube de la Renaissance, auraient-elles modelé une certaine vision consensuelle d’un Saint François d’Assise en réalité subversif et hédoniste ?
- Un héritage difficile à assumer. Après la mort de François, l’ordre est en proie à des tensions intestines, et la papauté, si elle reconnaît sa sainteté, reste embarrassée par sa mémoire. La basilique nue, dans laquelle le corps de François d’Assise est déposé, fait pendant plusieurs années figure de caisse de résonance où se font écho des voix dissonantes quant à l’héritage du Saint.
- Saint François était ouvert à tous, ses compagnons étaient laïcs, il prônait un extrême dénuement matériel et pratiquait l’aumône, ne reniait pas son passé de pêcheur éclairé par la conversion, et prêchait une application radicale de l’Évangile affranchie – c’est le clou du spectacle – de l’étude théologique. Un héritage embarrassant, tant pour une partie de l’ordre que pour la papauté. À sa mort se pose alors une question cruciale : comment rester fidèle à la mémoire de Saint-François, tout en présentant de sa vie et de son enseignement une vision compatible avec les pratiques de l’Église ? Quel François fallait-il représenter ?
- Un saint parmi les hommes. Chiara Frugoni a l’art de nous présenter son cheminement dans la construction de la « légende » d’Assise comme une énigme. Après une plongée dans les débats qui agitent les frères et les papes, elle nous montre comment émerge finalement, sous la plume de Bonaventure [ecclésiastique franciscain qui est l’un des piliers de la théologie médiévale], une « idéologie » franciscaine. Basée sur une biographie cohérente (et romancée) de Saint-François, elle donne « enfin […] la justification indispensable pour exprimer un programme cohérent qui fût en mesure de légitimer le passé et le présent de l’ordre franciscain en suggérant un avenir glorieux ».
- Le parcours des fresques, richement commentées et illustrées, fournit autant de pièces à conviction qui corroborent cette mémoire unifiée de Saint-François. Plutôt qu’un modèle à imiter, il est décidé qu’il serait un saint extraordinaire et exceptionnel à vénérer, annonciateur d’un temps prophétique auquel l’humanité n’est pas encore prête. Toute l’iconographie des fresques se construit alors sur un parallélisme entre la vie du Christ et celle de Saint François, et vise à formaliser cette mise à distance. Injectant de la vie et de l’histoire dans ces fresques, Chiara Frugoni met finalement en évidence la façon dont ces dernières ont figé la mémoire de Saint François, asseyant sa sainteté au prix de sa substance plus humaniste.
Publié chez Les Belles Lettres, François. Le message caché dans les fresques d’Assise, de Chiara Frugoni, est disponible ici.
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