Noir, c’est noir

« Si vous frôlez à la fois la grosse déprime et le coup de sang, par exemple en lisant que la commission environnement du Parlement européen a retoqué, fût-ce provisoirement, la loi de restauration de la nature qui aurait réduit l’usage des pesticides en Europe, j’ai un truc. Quand les nouvelles côté humains sont plombantes, je me tourne vers les sciences en général et les étoiles en particulier. Les sciences, parce que, bon an mal an, c’est un lieu où des gens font des choses ensemble et partagent une idée de la vérité. Les étoiles, parce qu’il y a toujours de quoi s’émerveiller, non ?

Samedi 1^er juillet à 17h11 heure de Paris, si tout va bien, une fusée Falcon 9 de l’entreprise SpaceX décollera de Cap Canaveral, en Floride, avec pour bagage le télescope spatial de la mission “Euclid Dark Universe” de l’Agence spatiale européenne. Objectif : cartographier l’Univers tel qu’il était il y a 6,5 milliards d’années. Et au passage, dévoiler une composante de l’Univers – 70% tout de même – qui n’est ni matière, ni rayonnement et que les physiciens ont baptisé l’“énergie noire”. Noire parce qu’on ne la voit pas. Noire parce qu’on ne comprend pas grand-chose à sa nature. Noire comme une boîte du même nom qui recèlerait les informations sur le grand voyage du vaisseau Univers depuis le Big Bang.

L’énergie noire s’est imposée sur la scène cosmologique depuis que Saul Perlmutter, Adam Riess et Brian P. Schmidt ont observé (en 1998) une augmentation de la vitesse de fuite des galaxies : l’attraction gravitationnelle devrait freiner le mouvement en rapprochant les objets massifs les uns des autres, mais pas du tout, l’expansion va de plus en plus vite ! D’où l’idée d’un mécanisme antigravitationnel qui s’y opposerait et accélérerait l’expansion du grand pudding universel. Lequel ? On n’en sait rien, mais d’ici quelques années, merci Euclide, on devrait récolter de quoi trancher entre les hypothèses. Peut-être l’énergie noire n’est-elle rien d’autre que la constante cosmologique introduite par Einstein en 1917 pour équilibrer la gravitation dans un Univers qu’il supposait alors comme statique ? Peut-être est-elle la preuve de l’existence de la “quintessence”, l’équivalent du cinquième élément aristotélicien que les physiciens interprètent comme une forme d’énergie surgie du vide ?

Peut-être ? Ces hypothèses sont vertigineuses. Dans La Philosophie comme manière de vivre, Pierre Hadot note que “le monde est peut-être splendide, il est souvent atroce, mais il est surtout énigmatique”. Et il ajoute que de temps en temps surgit ce “frisson sacré que l’homme éprouve devant le caractère énigmatique de la réalité”, frisson qui est “la meilleure part de l’homme devant ce qu’il y a d’étrange et de mystérieux dans l’existence du monde”.

Et ce sentiment-là, c’est un peu comme une douche fraîche pendant la canicule. Au moins pour un temps, on se sent mieux. »

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