Pourquoi tenons-nous un journal intime ?
Cher journal, que trouve-t-on entre tes pages et qu’y consigne-t-on au juste ? Aujourd’hui, quatre philosophes te feuillettent et t’auscultent.
Par exercice spirituel/Augustin (353-430)
Menus péchés, désirs inavoués, souvenirs marquants font l’épaisseur des écritures à la première personne. Mais cet exercice d’introspection, en quête d’une vérité en soi, est rarement uniquement pour soi-même. Nous imaginons souvent pouvoir être lus par un lecteur potentiel ou omniscient – Dieu, par exemple. Dans ses Confessions, saint Augustin mêle ainsi l’aveu et le repentir au récit de vie, composant là l’une des premières œuvres autobiographiques. Il nous guide dans les « vastes palais de la mémoire » et raconte sa vie et sa conversion au christianisme, se dévoilant pour apparaître tel qu’il est devant Dieu. « Je veux faire la vérité dans mon cœur », promet-il. Édifiant !
Par souci scientifique/Maine de Biran (1766-1824)
Que fait-on lorsqu’on consigne ses états d’âmes, en tenant le journal de bord de son existence, sinon une étude de soi-même ? Coucher les détails de sa vie sur le papier, c’est se mettre à distance pour comprendre la nature de l’homme à travers soi. « Chaque homme devrait être attentif à ses diverses périodes de sa vie, il devrait se comparer à lui-même en différents temps, tenir registre de ses sentiments particuliers », note Maine de Biran dans son journal philosophique. Et de poursuivre : « Si on avait ainsi divers mémoires faits par des observateurs d’eux-mêmes, quelle lumière rejaillirait sur la science de l’homme ! » Un journal intime… et anthropologique donc.
Par volonté de témoigner/Simone Weil (1909-1943)
Faire de soi le témoin d’une époque et d’une condition, élever une vie minuscule à hauteur de société : telle est aussi l’ambition du diariste lorsqu’il transforme l’intime en politique. Dans son Journal d’usine, Simone Weil relate son expérience d’ouvrière à l’usine Alsthom en 1934, où elle s’est engagée pour être au plus près du réel. Elle consigne son quotidien pour mieux le dénoncer, afin « non seulement que l’homme sache ce qu’il fait – mais si possible qu’il en perçoive l’usage –, qu’il perçoive la nature modifiée par lui. Que pour chacun son propre travail soit un objet de contemplation ». Où la petite et la grande histoire se rejoignent !
Par narcissisme/Roland Barthes (1915-1980)
Après l’heure de gloire des blogs et maintenant celle des réseaux sociaux, où chacun y va de ses plus belles photos, de ses stories sur Instagram, de ses threads sur Twitter, jamais la vie intime ne s’est aussi librement étalée. Aurions-nous atteint le comble du nombrilisme ? Dans Roland Barthes par Roland Barthes, l’écrivain moque déjà la mode du « journal autobiographique » rappelant qu’au « XVIe siècle, où l’on commençait à en écrire, sans répugnance, on appelait ça un diaire : diarrhée et glaire. Production de mes fragments. Contemplation de mes fragments (correction, polissage, etc.). Contemplation de mes déchets (narcissisme) ». Mais après tout, si ça soulage…
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