Santé, honneur !

« Plutôt “homme d’honneur” ou “garçon de bain” ? C’est la question que je me suis posée cette semaine, plus perplexe que joyeux à la veille de Noël, alors que les députés, les membres du gouvernement et le président lui-même sauvent la face après l’adoption d’une loi controversée sur l’immigration, saluée par l’extrême droite.

“Manœuvres de garçon de bain”. Je n’avais jamais entendu cette expression, empruntée par la Première ministre puis par le président, pour décrire le ralliement du Rassemblement national à la loi sur l’immigration, après que ses élus avaient assuré qu’ils ne la voteraient pas. Cette expression qualifie en général une plaisanterie grossière. Par analogie, c’est donc ici les stratégies opportunistes au Parlement qui le seraient. Il faut dire que, globalement, les compromis adoptés pour faire passer cette loi ne montrent pas vraiment l’exemple d’une exceptionnelle droiture morale. Cet accord, dont le ministre de l’Intérieur convient lui-même qu’il est, sous certains aspects, inconstitutionnel, est plutôt le fruit de tractations politiciennes, qui fracturent la majorité elle-même. Des manœuvres au mieux stratégiques, à défaut d’être pragmatiques, quoi qu’en disent les intéressés. Car, en l’occurence, le réel et les faits ont été ignorés, comme le rappelle l’anthropologue François Héran, professeur au Collège de France titulaire de la chaire Migrations et Sociétés : non, la France ne subit pas de pression migratoire. Cette loi serait un “grand moment de déshonneur” pour l’opposition, comme le clame le député socialiste Boris Vallaud.

L’honneur, c’est bien l’actualité. Celui des ministres qui se sont engagés à démissionner pour marquer leur désaccord mais aussi celui de la Légion du même nom, que la ministre de la Culture voulait retirer à Gérard Depardieu dont le comportement n’a pas été exemplaire… C’était avant d’être dédite par le président, dans l’émission même où il conspuait les “manœuvres de garçons de bain”, au motif que la Légion d’honneur “n’est pas un ordre moral”… ce que contredit explicitement son règlement. Il prévoit deux conditions à son attribution : la “nationalité” – être citoyen français – et “l’honorabilité” – avoir une “bonne moralité”.

L’honneur et la morale ont-ils à voir avec la politique ? Deux options divisent la tradition philosophique. D’une part, l’honneur est par exemple la vertu des gardiens de la Cité, pour Platon. D’autre part, pour Machiavel (dont Emmanuel Macron a fait un sujet de ses études de philosophie), l’honneur est moins un principe qui guide et contraint l’action politique que le résultat attendu du dirigeant, ce qu’il doit acquérir. Mais la morale ne doit pas freiner l’action. Il faut donc que le prince “ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut, comme je l’ai dit, que tant qu’il le peut il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal”. Il doit ainsi savoir “simuler” et “dissimuler”, “en sorte qu’à le voir et à l’entendre on le croie tout plein de douceur, de sincérité, d’humanité, d’honneur”. Ce faisant, tous les moyens pour asseoir son autorité et assurer la stabilité de l’État “seront jugés honorables”.

Alors, une valeur surannée, l’honneur ? Les impératifs de l’action politique entrent-ils en concurrence avec ce principe encombrant ? Au contraire, pour le philosophe Kwame Anthony Appiah ! Comme il le montre dans Le Code d’honneur. Comment adviennent les révolutions morales (Gallimard, coll. NRF Essais, 2012), il “peut sans conteste être mis au service de la réussite humaine”, des causes justes et donc des révolutions morales. Et si l’honneur faisait légion ?

En attendant, je vous souhaite une très bonne fin d’année ! »

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