De l'art de dire des conneries

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Publié pour la première fois en France fin 2006, De l’art de dire des conneries reparaît aux éditions Mazarine, auréolé du statut de « livre culte ». Depuis une vingtaine d’années, il circule en effet de cénacle savant en cercle rigolard, chacun y trouvant son miel. Son auteur, le philosophe américain Harry G. Frankfurt, l’a d’abord écrit en 1984 pour une rencontre entre universitaires à l’université Yale comme une analyse philosophique sérieuse de « l’omniprésence du baratin ». Certains de ses collègues y lurent avec une joie mauvaise une critique du relativisme postmoderne, la présence de Jacques Derrida faisant de Yale « la capitale mondiale du baratin ». On reconnaîtra que l’art de dire des conneries fonctionne à tous les temps – n’était-ce pas déjà ce que Platon reprochait aux sophistes ? Aujourd’hui, l’opuscule de Frankfurt résonne à l’ère de la post-vérité et des fake news, ce que le sociologue Philippe Breton dénonçait déjà (dans L’Incompétence démocratique, paru en 2006 à La Découverte) comme « crise de la parole » en démocratie. Frankfurt tente de définir, avec Wittgenstein et les catégories du mensonge de saint Augustin, la notion assez floue de bullshit, qu’il rapproche et distingue du mensonge, de la fumisterie, du vent des paroles creuses, de la déconnade… Le baratineur, « indifférent à l’égard de la réalité des choses », ignore l’idéal d’exactitude, balayé au rang des vieilleries besogneuses au profit du seul idéal de sincérité, qui ne se discute pas. « La sincérité, c’est du baratin », conclut Frankfurt. Le livre est dédié à une certaine Joan, « avec toute ma sincérité »

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