La Tyrannie de la norme

Une recension de Philippe Nassif, publié le

Le « devenir soi » est un refrain souvent entonné par les philosophes. Plus rarement par les scientifiques : eux ont tendance, en s’armant de mesures statistiques, à écraser l’exception sous la loi de la moyenne. Ou peut-être « avaient » tendance ? C’est en tout cas le credo de Todd Rose qui occupe à l’université Harvard aux États-Unis la chaire d’une inédite « science de l’individu ». Car « l’individu moyen » est une fiction toxique, un genre de mythe dont Rose retrace la généalogie : de l’astronome belge Adolphe Quetelet, appliquant, dans les années 1820, son sens des mathématiques à un meilleur contrôle des foules démocratiques, jusqu’à son incarnation quotidienne par le « management scientifique » de Frederick Taylor.

Depuis, l’idée de rapporter chaque individu à des normes moyennes – « il est lent à apprendre », « très introverti », « prédiabétique » – est si ancrée en nous qu’il a fallu bien des efforts aux scientifiques pour s’avouer que, pratiquement, aucun individu n’a une taille de pieds ou une intelligence « moyenne ». Bref, que l’individu moyen n’existe pas ! D’où l’enjeu exploré par Rose : comprendre que nous fonctionnons tous de manière singulière, afin d’imaginer des systèmes sociaux – telles l’entreprise et l’éducation – qui s’adapteraient à chacun plutôt que le contraire. Et ainsi réinventer l’égalité des chances.

Trad. de l’américain C. Rimoldy
Sur le même sujet


Le fil
1 min

Mercredi 14 décembre sort au cinéma un film attendu depuis treize ans : Avatar. La voie de l’eau, deuxième opus de la saga créée par James Cameron. …

“Avatar”, la fabrique d’un nouveau mythe


Article
7 min
Alexandre Lacroix

La volonté ? Passée de mode. Elle est perçue aujourd’hui comme une catégorie psychologique ancienne, au même titre que la Raison ou le caractère. Qui emploie encore le mot volonté ? Certainement pas les philosophes, qui ont délaissé ce concept –…


Article
6 min
Julien Charnay

La journée que nous connaissons, scandée par les heures et les minutes, est d’invention récente. Elle s’est installée avec le capitalisme. Krzysztof Pomian, auteur de L’Ordre du temps, revient sur l’histoire de cette mutation.