Le Siècle du populisme
Une recension de Frédéric Manzini, publié leC’est une étrange vague qui monte. On a pris l’habitude de la nommer, faute de mieux, le « populisme ». Elle fait beaucoup parler d’elle depuis qu’en Europe et ailleurs, elle a déferlé sur plusieurs démocraties et menace presque toutes les autres. Les réactions qu’elle suscite sont habituellement de deux ordres. Certains sont frappés de stupeur devant ce qui leur semble relever d’une aberrante régression, tant politique qu’intellectuelle. Ceux-ci ne cessent de nous avertir des graves dangers qui nous guettent. D’autres, au contraire, accueillent ce mouvement comme une aubaine et relancent la rhétorique de l’opposition entre le peuple et les élites – c’est le cas de Michel Onfray avec Grandeur du petit peuple chez Albin Michel qui rassemble ses chroniques sur les « gilets jaunes ». Ils y voient un sursaut salutaire de liberté et de justice qui offre l’occasion inespérée de reprendre un pouvoir confisqué par quelques privilégiés.
L’ouvrage de Pierre Rosanvallon obéit à une autre démarche : son ambition est d’élaborer la théorie politique qui manque à toutes les analyses du populisme et permet de l’inscrire dans l’histoire. Il s’agit, pour l’historien, de le prendre au sérieux et de l’observer dans sa spécificité : le populisme n’est pas un épiphénomène (ou un accident de parcours) dans la marche triomphante de la démocratie libérale – celle-là même que l’on a prise pour la forme achevée de la « fin de l’histoire » –, il redessine notre manière de concevoir et de faire de la politique. Et si le XXIe siècle était, effectivement, le siècle du populisme ?
Avant d’en arriver là, encore faut-il s’assurer que l’on parle d’une réalité unifiée. Or la difficulté est de taille tant les formes du populisme sont variées. Qu’y a-t-il de commun au Venezuela de Chávez, aux Philippines de Duterte, à la Hongrie d’Orbán, aux Brexiters et à tous les autres mouvements qu’on affuble du nom de populisme ? Donald Trump et Jean-Luc Mélenchon, même combat ? Pour tenter de mieux approcher cet « Objet Politique Non Identifié », Rosanvallon commence par en faire ce qu’il appelle l’« anatomie » et qu’il refuse de réduire à la seule logique de la distinction entre « eux » et « nous ». Parmi les caractéristiques qu’il relève : un goût pour l’expression directe qui va jusqu’à sacraliser le référendum, un rejet virulent de tous les corps intermédiaires (élus, médias, etc.) accusés d’éloigner les peuples des lieux de pouvoir, une défense du souverainisme ou, sur le plan économique, du national-protectionnisme.
De façon remarquable, l’auteur de La Contre-Démocratie (Seuil, 2006) précise que si le populisme est protestataire et « illibéral » – terme qu’il a lui-même employé –, cela ne signifie pas qu’il soit antidémocratique. En retrouvant ses filiations dans d’autres « moments populistes » français, notamment sous le Second Empire, Rosanvallon le théorise même comme une forme d’authentique expression de la démocratie et non comme une pathologie dont elle souffrirait. C’est à ce moment que les analyses de Rosanvallon sont les plus intéressantes, lorsqu’il réexamine les « indéterminations » de l’idéal démocratique, par exemple la notion de « peuple souverain », qui rendent ce régime structurellement « inachevé ». Si le populisme n’apporte que des réponses simplistes, il a au moins le mérite d’obliger la démocratie à se critiquer et à se réinventer. Au lieu de s’en remettre au référendum, qui n’offre selon lui qu’une souveraineté impuissante, Rosanvallon en appelle plutôt à complexifier la démocratie, à l’élargir, à la généraliser, à la démultiplier et à la rendre interactive sous la vigilance de « l’œil » du peuple (destiné à compléter sa « voix »). Le populisme, enfant terrible de nos démocraties désenchantées, pourrait finalement en être le ferment.
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