Les Presque Humains

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

Zombies, cyborgs, androïdes, symbiotes, clones… ces étranges créatures ont envahi notre monde. Notre imaginaire et nos fictions, en tout cas. Mais qu’ont-elles en commun ? Tous ces êtres sont des « presque humains », répond le philosophe Thierry Hoquet : un peu moins, un peu plus, un peu autre, un peu au-delà ou en deçà de l’humain. Tout l’enjeu de cet ouvrage aussi foisonnant que passionnant tient à ce « presque », où se mêlent la fascination et la répulsion. Par bien des aspects, en effet, ces personnages nous ressemblent. « La proximité […] invite à s’identifier à l’autre. » Mais c’est précisément parce que la distance qui nous sépare de lui est « infime », parfois « imperceptible », que l’écart dont il est le porteur suscite un certain effroi et une réaction de rejet. Le « presque humain » fait irruption dans nos imaginaires sous le mode de l’« inquiétante étrangeté », de l’« infamiliarité » : il « dérange notre compréhension implicite de ce à quoi on reconnaît l’humain » et révèle notre fragilité. S’il peut « mettre sous tension » et brouiller les contours de l’humanité, c’est parce que ces contours n’ont jamais été figés.

Qui peut dire ce que signifie être humain ? Toute notre histoire est traversée par cette question. Nous la retrouvons aux deux bouts de notre existence individuelle : quand commençons-nous à être humains et quand cessons-nous de l’être ? Sommes-nous encore pleinement humains lorsque nous devenons séniles ? Ou encore lorsque nous nous retrouvons en état de mort cérébrale mais que notre cœur continue de battre ? C’est aussi une question posée par l’évolution : celle de la différence entre nous et les primates, nos plus proches cousins génétiques. Celle, encore, de l’anthropologie, car l’homme n’est pas un animal nu : il est façonné par ses outils, par ses équipements, et se prolonge hors de son corps. Celle, enfin, de la politique – de l’exclusion et de l’aliénation qui relèguent certains êtres aux marges de l’humanité.

Les « presque humains » de fiction multiplient les points d’interrogation, en mettant en péril l’équilibre des quatre grandes dimensions de l’existence humaine, selon la typologie proposée par Hoquet : l’« Alien » marque le déchaînement incontrôlable d’une puissance vitale destructrice ; l’« Équipé », la dissolution de l’individu dans ses moyens, ses outils ; le « Golem », l’aliénation à une fin déterminée ; le « Trans », la perméabilité totale à l’instabilité du devenir et à la destruction de l’identité. Ces figures nous hantent, parce qu’elles témoignent que nous pouvons toujours déchoir de notre humanité de multiples manières, que nous ne sommes « jamais complètement humains ». Mais leur immixtion dans notre monde reflète en même temps « l’impossibilité où nous sommes de jamais renoncer à notre humanité ». Peut-être faut-il alors admettre que l’humanité tient surtout au souci d’essayer de dire ce qu’il en est de l’humain ? En ce sens, « l’humain s’impose d’abord comme signification, projet, communauté d’intelligence. Nous sommes les gardiens de la grande aventure du sens ».

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