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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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(cc) Wikimedia / Didier Bonnette

Société

Le débat sur la prostitution: entre dignité et propriété de soi

Martin Legros publié le 07 avril 2016 4 min

[Actualisation : la proposition de loi socialiste renforçant la lutte contre la prostitution a été définitivement adoptée par les députés mercredi 6 avril 2016] Adopté en 2013 par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, le projet de loi de pénalisation de la prostitution a été examiné au Sénat avant d’être proposé le vendredi 12 juin 2015 en seconde lecture aux députés. Le débat met en question l’alternative entre dignité et propriété de soi.

 

La proposition de loi de pénalisation de la prostitution qui fait polémique depuis plusieurs mois dans l’opinion a été adoptée à une très large majorité en commission spéciale de l’Assemblée nationale en 2013, avant d’être modifiée au Sénat l’année suivante. Les sénateurs ont supprimé l'article relatif à la pénalisation des clients, soulignant les « effets délétères » de la mesure et ils ont rétabli le délit de racolage.

Le texte est à nouveau examiné ce vendredi 12 juin 2015 par l'Assemblée nationale, dont les membres entendent bien rétablir les deux dispositions supprimées au Sénat. Un vif débat accompagne cette loi tout au long de son parcours législatif.

Au cœur de ce projet : l’idée, émise au départ par Najat Vallaud-Belkacem, Ministre du Droit des femmes, de pénaliser les clients – ils seraient sanctionné d’une amende de 1500 euros portée à 3000 en cas de récidive et d’un stage de « sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ». La proposition prévoit par ailleurs d’abroger le délit de racolage public et de soutenir la réinsertion des prostituées. Une sorte d’inversion du sens des poursuites donc qui passe des prostituées vers les clients.

Si tout le monde s’accorde avec les mesures qui visent à lutter contre les réseaux de proxénétisme international qui font que la très grande majorité des prostituées sont aujourd’hui des femmes et des immigrées (à hauteur de 90%), c’est cependant l’objectif ultime de cette loi d’abolir et de pénaliser la prostitution en tant que tel qui suscite le débat.

 

Quels sont les camps en présence ?

Deux camps se sont dessinés. D’un côté, ceux qui comme la philosophe Sylviane Agacinski, soutiennent que la prostitution est rarement un libre choix et la plupart du temps une « servitude archaïque », héritée du patriarcat, et profondément inégalitaire entre le client qui cherche de temps en temps son plaisir et la personne qui pour des raisons de nécessité doit subir des relations sexuelles en série au mépris de sa sensibilité et de son propre désir. « Le commerce de la chair, affirme solennellement la philosophe, est une « négation de la personne ». Et même quand ce commerce est librement choisi, « la liberté de se laisser asservir est une contradiction ».

« L’État n’a pas à légiférer dans l’activité sexuelle des citoyens »

Élisabeth Badinter

De l’autre, ceux qui autour de la philosophe Élisabeth Badinter, considèrent que l’interdiction est une chimère qui va faire basculer la prostitution dans la clandestinité, et que toutes les prostituées ne sont pas des femmes contraintes. La mise à disposition de son propre corps à des fins sexuelles, dès lors qu’elle est librement choisie, relève de la liberté individuelle. On peut désapprouver moralement, on n’a pas à décréter illégal ce que l’on trouve immoral. « L’État, affirme la philosophe, n’a pas à légiférer  dans l’activité sexuelle des citoyens ».

 

En somme, les uns défendent la dignité et les autres la liberté ? 

Exactement. Mais peut-être serait-il utile pour le débat de problématiser ces deux principes. Dans une tradition très libérale, issue de John Locke, les opposants à la loi conçoivent la liberté comme la capacité de disposer librement de son corps. « Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, écrit il dans son Second Traité du gouvernement civil, chacun garde la propriété de sa propre personne ». C’est la tradition anglo-saxonne de l’ « Habeas Corpus ». Mais le concept libéral de propriété est-il vraiment adapté pour penser ce commerce très singulier qu’est le commerce des corps ? Il ne fonde en tout cas pas un droit absolu. La propriété est chose sociale qui fait l’objet de très nombreuses restrictions légales. John Locke lui-même  affirmait que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ».

De l’autre côté, le concept de dignité est tout aussi problématique. En règle général, ce concept sert à empêcher un autre individu de m’asservir, d’attenter à ma dignité d’être moral en m’injuriant ou en me violentant. Ici le concept est mobilisé pour dénoncer non pas seulement le rapport entre la prostituée et son client, mais le fait même pour les prostituées de soumettre leur corps à un commerce charnel.

« Des nains qui se font projeter en l’air pour divertir ne portent-ils pas atteinte à la dignité des nains en tant que tel ? »

Devant la figure de la prostituée libre et consentante, les abolitionniste considèrent qu’elle porte atteinte à la dignité de la femme en tant que tel, qu’il s’agisse de la dignité qu’elle porte en elle comme personne ou qu’il s’agisse de la dignité de toutes les autres femmes qu’elles ravalent par leur pratique à la condition de choses. Une difficulté que l’on avait déjà rencontrée avec le lancer de nains : des nains qui se font projeter en l’air pour en divertir d’autres ne portent-ils pas atteinte à la dignité des nains en tant que tel ? Nous sommes là dans une tradition du christianisme laïcisée selon laquelle l’individu est porteur de valeurs qui le transcendent.

Sans prétendre trancher le débat qui commence à peine entre partisans et adversaires de l’abolition de la prostitution, il serait utile que chaque camp réfléchisse aux fondements délicats qui soutient sa position. Et peut-être aussi qu’il intègre le point de vue des premières intéressées, les prostituées, partagées elles aussi entre la figure des travailleurs et travailleuses du sexe qui réclament la régularisation pleine et entière de leur activité professionnelle et la figure des très jeunes prostituées enfermées dans les réseaux de proxénétismes globalisés… Bref, du point de vue pragmatique, juridique et philosophique, la question est loin d’être tranchée.

 

Pour aller plus loin
Pour approfondir le débat philosophique on se reportera à deux textes très intéressants :
- « Dignité de la femme et liberté des femmes », de Sarah-Marie Maffesoli, publié dans la revue Esprit, Octobre 2013
- « Propriété de soi et prostitution » de Stéphanie Hennette Vauchez, Université de tous les savoirs

 

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