“Le Temps qu’il nous faut” : sommes-nous encore capables de glander ?
Quelle est la différence entre la « pause » et la « glande » ? L’une est dépendante d’une logique productiviste, tandis que sa version argotique est rebelle, résolument hostile à tout travail. C’est cette distinction que permet – entre autres – de revisiter l’exposition Le Temps qu’il nous faut, qui débute samedi au Maif Social Club. Visite guidée avec les philosophes Jean Baudrillard et Herbert Marcuse.
Une petite enveloppe très chic de la part de la Fondation du rien. C’est ce que l’on reçoit si l’on vient visiter l’exposition Le Temps qu’il nous faut, organisée par le Maif Social Club. Avec cette enveloppe, on peut s’inscrire à l’activité de son choix – cours de voile, yoga, ou conférence – et choisir un créneau.
Si vous tentez l’expérience, vous allez recevoir à coup sûr… un mail d’annulation le jour J. Rassurez-vous, Nicolas Heredia, l’artiste à l’origine de cette facétie, ne cherche pas à vous décevoir mais plutôt à satisfaire cette petite voix en vous qui se réjouit secrètement lorsqu’un ami annule un dîner à la dernière minute. Bref, il vous offre une plage horaire aussi inopinée qu’opportune pour… ne rien faire du tout.
Ce temps, dédié au pur néant, est en l’occurrence localisé à une heure et à une date précise. Un peu comme une séance de méditation bloquée entre deux réunions. En proposant d’inclure ce temps libéré à l’intérieur de notre agenda, l’artiste souligne aussi qu’il y a peut-être un problème dans notre manière d’envisager le temps libre dans la mesure où nous en avons fait, un outil de « pause », une façon de « recharger les batteries » pour mieux enchaîner ensuite. Dans son essai sur La Société de Consommation (1970), le philosophe Jean Baudrillard désigne ces moments de loisirs modernes et aliénés comme « des parenthèses évasives dans le cycle de la production ». Autrement dit : ces pauses permettent de se reposer vite (et mieux) pour travailler plus. Ce genre de temps libre imite donc, dans sa forme, ce que l’auteur appelle « le temps productif de la quotidienneté asservie » : le fameux métro, boulot – yoga, méditation, jardinage… insérez ce que vous voulez au milieu – dodo.
Plaidoyer contre la micro-sieste
On peut donc distinguer d’une part la « pause » et de l’autre sa version argotique, « la glande ». Là où la pause se veut productive, la glande déborde, s’étale et n’en fait qu’à sa tête. Rebelle, elle sort de la case de notre emploi du temps et nous pousse à rêvasser au-delà des « dates limite ». Bref, la pause est à la glande ce que la « micro-sieste » chronométrée est à la vraie bonne sieste : une version pâlotte, calculatrice et mesquine du temps libre.
Bien glander : c’est tout le thème de notre dernier hors-série consacré à « L’art de ne rien faire » mais aussi celui de l’exposition du Maif Social Club, Le Temps qu’il nous faut, qui fait sentir au spectateur ce que signifie « s’arrêter » via différentes installations artistiques. Dans cette atmosphère ouatée – où les œuvres sont placées dans des bulles jonchées de plantes et émettant de petits bruits –, le spectateur est invité à déambuler sans se presser. Personnages miniatures à observer pendant des heures (Lingzi Ji), tapis coloré sur lesquels on peut se vautrer goulûment (Julie C.Fortier), concert de chaussures à écouter autant que bon nous semble (Arno Fabre)… Les œuvres, très belles à regarder, contiennent toutes un côté ludique et un brin ironique. Ce n’est pas un hasard si l’artiste qui a réalisé l’orchestre de chaussures mécaniques frappant le sol confesse qu’il a eu l’idée de cette œuvre… pendant sa sieste, alors même qu’il entendait, au loin, les pas trop pressés des passants.
Ce mélange de jeu et d’ironie, loin d’être anecdotique, est l’un des éléments clefs de la glande. Le philosophe Herbert Marcuse, dans Éros et Civilisation (1955), estime que le jeu est une manière de « refuse[r] les traits répressifs et exploiteurs du travail et des loisirs », en étant tout à fait « improductif et inutile ». Au sein de l’exposition, les « Chindogu » : des objets parfaitement fonctionnels mais totalement inutiles inventés par l’artiste japonais Kenji Kawakami, incarnent cet esprit de railleries ludique propre à la glande.
Vous avez donc jusqu’au 24 février pour vous précipiter au Maif Social Club (37, rue de Turenne, Paris IIIe) afin d’observer en détail les chaussettes avec ongles vernis intégré, le beurre en stick, et autres casques à horloges intégrées : vous pourrez alors peut-être glander vraiment, avec panache et, on l’espère, sans une once de culpabilité.
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