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Phèdre de Sénèque – Mise en scène de Louise Vignaud © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Quand bouillonnent les forces du chaos

Vincent Pascal publié le 17 avril 2018 4 min
En montant “Phèdre” à la Comédie-Française, Louise Vignaud met en scène l’affre des passions interdites, auquel elle confère une dimension métaphysique. Elle réhabilite aussi Sénèque, le “plus grand auteur tragique de l'histoire”, selon Antonin Artaud.

Face aux spectateurs, un long mur percé d’une baie vitrée couverte d’un voilage, derrière lequel on découvrira plus tard le mur de béton gris de fond de scène. Deux ouvertures en guise de portes. Un seul accessoire : un glaive, qui gît au sol en fond de scène. C’est l’aiguille magnétique folle qui suit les sentiments des protagonistes agités tour à tour par des sentiments contraires.

 

Au fond des enfers

Quand l’action commence, le temps est suspendu depuis quatre ans. Quatre ans que le roi Thésée est parti avec son amant Pirithoüs pour une périlleuse équipée aux Enfers (« Sodomie et adultère,/ c’est tout ce que le père d’Hippolyte cherche au fond des enfers », se lamente Phèdre), quatre ans qu’il laisse se morfondre au palais Phèdre, sa jeune épouse, en compagnie de son fils Hippolyte.

Longue, fine, dans une souple robe lamée d’or, voici que Phèdre s’avance, pieds nus, mobile statue d’elle-même, hagarde et asphyxiée, éperdue de désir  pour Hippolyte, son propre beau-fils, à peine plus jeune qu’elle (« Le feu embrase mon cœur et l’affole/ Incendie sauvage, au tréfonds de mon corps/ Le désir couvait, il court dans mes veines/ Et me ravage la chair. »)

Hippolyte paraît. Hippolyte, le Pur, fils de Thésée aux pulsions sans frein et d’Antiope l’amazone, s’est voué à l’abstinence. Il hait les femmes. En face de lui, Phèdre incandescente, aimantée par son désir, retient d’abord l’aveu de son amour contre-nature puis, consumée de passion, elle laisse parler son désir. Hippolyte, effrayé devant ce désir monstrueux et coupable, veut se soustraire aux visées adultères et incestueuses de la femme de son père. Phèdre toute à sa passion abuse de lui dans un corps à corps qui n’est pas sans rappeler les pratiques sexuelles de la propre mère d’Hippolyte, l’amazone, chevauchant les hommes et les tuant ensuite…

Hippolyte, interdit, veut un instant tuer Phèdre. Mais Phèdre est la femme de son père, il choisit de s’enfuir.

C’est alors que contre toute attente, le roi Thésée revient sain et sauf en son palais.

Phèdre accuse Hippolyte de viol. Thésée, abusé, convoque, avec l’intercession de Neptune, un monstre marin qui fait périr son fils enfui. Prise par le remords, Phèdre avoue son crime et disculpe Hippolyte. Elle se tue. Thésée, anéanti, ordonne les funérailles de son fils.


Phèdre de Sénèque – Mise en scène de Louise Vignaud © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
 

Ce spectacle est un saisissement à la mesure du texte de Sénèque.

La souveraine figure de Phèdre domine tout. Jennifer Decker est d’un bout à l’autre envoûtante. Claude Mathieu interprète sa bienveillante nourrice. Mue par un amour quasi maternel, déchirée entre les devoirs de la morale et de la loi et sa fidélité à Phèdre, elle choisira de se plier à son entreprise et de la seconder dans son crime.

La jeune metteuse en scène Louise Vignaud (éclectique, curieuse, passant de Molière à Feydeau et à Pasolini) semble avoir été plus inspirée par les personnages féminins en abordant l’histoire de cette femme qui aime follement jusqu’au mépris des lois, jusqu’à la calomnie : « Il est trop tard pour la morale/ J’aime dans le crime et l’abjection. »

Nâzim Boudjenah incarne un Hippolyte chasseur et guerrier d’une sauvagerie presque enfantine, empli d’aspirations primitives aux accents « rousseauistes ».

Le chœur est ici joué par un seul personnage (Pierre Louis-Calixte) déroutant, mi-bateleur, mi-chroniqueur. En veste blanche rutilante et le crâne ceint d’une corne, il compose une partition qui mêle au tragique un contrepoint grotesque.

Thésée quant à lui (Thierry Hancisse), est intense dans sa fureur entremêlée parfois d’accents plaintifs au milieu de la plus grande douleur.  

 

Théâtre cru

L’ensemble est d’une beauté âpre, à l’unisson de la traduction de Florence Dupont qui en restitue la violence et la fureur poétique. Avec cette Phèdre irradiante, Louise Vignaud a su restituer sans psychologie ce récit tragique, où les sentiments nus sont portés au paroxysme – et qui culmine, délivré depuis le fond de la salle par la nourrice, avec l’horrifique récit de la mort d’Hippolyte dont le corps est interminablement démembré, déchiqueté sur les rochers par ses chevaux emballés. Théâtre cru ; le voilà, le « théâtre de la cruauté ».

Redécouvert à la Renaissance, Sénèque fut banni par le pouvoir royal au XVIIe siècle. En ressuscitant Médée, Georges et Ludmilla Pitoëff lui redonnèrent vie en 1932, emportant l'enthousiasme d'Antonin Artaud qui vit en lui « le plus grand auteur tragique de l'histoire. » « Je pleure, écrit-il, en lisant son théâtre d'inspiré, et j'y sens sous le verbe des syllabes crépiter de la plus atroce manière le bouillonnement des forces du chaos » (lettre à Jean Paulhan, 16 septembre 1939). 

Informations

Phèdre de Sénèque

Traduction : Florence Dupont 

Mise en scène : Louise Vignaud

Avec : Claude Mathieu, Thierry Hancisse, Pierre Louis-Calixte, Nâzim Boudjenah, Jennifer Decker

Scénographie : Irène Vignaud

Lumières : Luc Michel

Costumes : Cindy Lombardi

Son : Lola Etiève

Dramaturgie : Pauline Noblecourt

 

Comédie-Française - Studio

99, rue de Rivoli - 75001 Paris

Du 29 mars au 13 mai 2018 

Durée : 1 h 20

 

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