Transe amazonienne

L’exposition consacrée à Claudia Andujar à la Fondation Cartier offre une traversée du miroir. Depuis près de cinquante ans, la photographe documente avec un savoir quasi anthropologique la vie des Indiens yanomami qui vivent au cœur de la forêt amazonienne. Mieux, elle pratique la photo comme une révélation, dans un sens métaphysique. Car son bain révélateur capture un pan du monde chamanique habité par les esprits. 

D’abord photojournaliste, Claudia Andujar s’est muée en artiste et en activiste. Elle a cofondé en 1978, notamment avec l’anthropologue Bruce Albert, une Commission pro-Yanomami en vue de défendre cette vaste région frontalière, riche en or, et la vie de ses autochtones, suspendue aux décisions politiques brésiliennes. Depuis les années 1970, le gouvernement exploite cette zone stratégique traversée par la Perimetral Norte, une bretelle de la Transamazonienne qui relie le Brésil et le Venezuela. Lors de sa construction, des épidémies ont décimé la population yanomami. Son tracé a abîmé la « terre-forêt des êtres humains », caractérisée par ce que Bruce Albert appelle dans le catalogue de l’exposition « une géométrie mouvante, feuilletée et “rhizomatique” », à mille lieues de « la territorialité topographique fixe et “zonale” de notre univers rural “traditionnel” ». Des territoires ont bien été protégés, mais de façon fragmentaire et enclavée, dans de microréserves. Contre cette « assignation à une identité et à une localité immuables », Bruce Albert et Claudia Andujar se sont battus. Lui en relatant le témoignage du chaman yanomami Davi Kopenawa dans La Chute du ciel (2010 ; rééd. Pocket, 2014) ; elle en montrant dans des clichés exceptionnels, beaucoup de grands formats, parfois traités avec des filtres de couleur, souvent en noir et blanc, la richesse de ce territoire animé d’une vie extraordinaire, ainsi que d’une collection d’êtres invisibles. Parmi eux figurent les xapiri, les esprits des êtres primordiaux, ce que les Yanomami, qui se disent capables de « rêver très loin », nomment des « êtres-images » de forme humaine. Les Yanomami négocient avec eux, guidés par les chamans, à force de chorégraphies, de chants et d’hallucinogènes. Bruce Albert parle de « diplomatie ontologique ». Avec son appareil, Claudia Andujar s’y est frottée au point de ne plus se sentir étrangère. « Ce monde m’aide à me comprendre et à accepter l’autre monde dans lequel j’ai grandi », écrit-elle. Cet « autre monde » étant aussi le nôtre, son œuvre remarquable vous parlera sans doute.