Apprendre à oublier avec la “Seconde Considération intempestive” de Nietzsche
En rupture avec toute la tradition philosophique qui vante les vertus de la mémoire, Nietzsche en appelle à l’oubli, qui rend plus fort et plus vivant. Retour sur le sens d’un conseil… intempestif.
- La tentation du ressassement estival. Il n’est pas rare qu’en été, lorsque les journées se font plus douces et propices à la rêverie, nous prenions le temps de revenir sur notre passé, de faire le bilan. Mais cette tendance apparemment inoffensive à ressasser le passé et à cultiver le souvenir a pour Nietzsche quelque chose de profondément mortifère, n’en déplaise aux Allemands du XIXe siècle qui vouent alors un culte à l’histoire. Lire la Seconde Considération intempestive – un des quatre essais dans lesquels Nietzsche s’attache à penser l’actuel de manière critique –, c’est comprendre la nécessité qu’a l’homme de se libérer de son passé, invisible fardeau qui le pousse au malheur et à l’inaction.
- Les vertus de l’oubli. L’homme se distingue de l’animal, « rivé au piquet de l’instant », par son rapport au temps qui implique anticipation et mémoire. Aussi jalouse-t-il le bonheur de la bête, libérée de tout souci et jouissant d’un plaisir immédiat. Ce bonheur, nous ne pouvons y accéder qu’au prix d’un effort : en exerçant notre « pouvoir d’oublier » pour nous « tenir dans l’instant ». C’est donc aux vertus de l’oubli que nous initie le philosophe allemand, qui rompt avec toute une tradition philosophique qui, depuis Platon et sa célèbre théorie de la réminiscence, valorise la mémoire. Grave erreur selon le philosophe allemand, car l’oubli est essentiel à notre vie : être heureux suppose toujours une nonchalance, une inconscience, une capacité à « transmuer le passé en sang » : ne peut s’ouvrir un avenir heureux que celui qui parvient à se vider la tête !
- Rendre à l’histoire sa juste place. L’originalité de la démarche de Nietzsche tient au fait qu’il se demande si la mémoire et l’histoire sont favorables ou bien nocives à la vie. Plutôt que d’examiner le contenu de la connaissance historique et sa véracité, nous devons nous demander ce que ce savoir fait à la vie. Or, « quand l’histoire prend une prédominance trop grande, la vie s’émiette et dégénère ». C’est ce que Nietzsche veut faire entendre aux Allemands du XIXe siècle, passionnés par la science historique, « astre éclatant » qui menace la vitalité de l’homme. Cette leçon essentielle, les Grecs l’avaient manifestement déjà comprise : l’absence à cette époque d’une histoire constituée comme discipline scientifique expliquerait la réussite de leur civilisation. Mais on aurait tort de penser que toute histoire est mortifère, ce serait là mal comprendre Nietzsche ; en tant qu’elle nous fournit des modèles de grandeur et de réussite, elle peut nous renforcer et nous conduire à nous dépasser.
- Les bienfaits de l’illusion. Si le « règne du sens historique » constitue une véritable menace selon Nietzsche, c’est parce qu’il dissipe « la pieuse illusion dans laquelle seule peut vivre tout ce qui veut vivre ». L’histoire exhibe tant de « choses grossières, absurdes, violentes » qu’elle affaiblit toute envie de vivre et de se dépasser. L’homme est créateur et en pleine santé « seulement quand il aime, c’est-à-dire quand il croit de façon inconditionnelle à quelque chose de juste ». Comme l’amertume générée par l’hypertrophie du savoir peut détruire cet amour créateur, il vaut mieux, parfois, ne pas chercher à en savoir trop ! Nietzsche n’aurait sûrement pas désavoué l’attitude des Français après la Seconde Guerre mondiale, ayant choisi d’oublier, pour un temps, la réalité de la collaboration afin de se relever des horreurs de la guerre. Un mensonge historique et collectif, ont révélé les historiens des générations suivantes. Mais un mensonge créateur qui a peut-être permis à la France de De Gaulle de rejoindre le concert des vainqueurs, aurait sans doute ajouté le philosophe.
Parue aux Éditions Flammarion dans une traduction de H. Albert et présentée par P.-Y. Bourdil, la Seconde Considération intempestive, de Friedrich Nietzsche, est disponible ici.
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