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Gaspard Ulliel dans le film “Juste la fin du monde”, de Xavier Dolan. © Shayne Laverdière/Sons of Manual

Disparition

Gaspard Ulliel, l’injuste fin du monde

Clara Degiovanni publié le 20 janvier 2022 4 min

Gaspard Ulliel est mort mercredi 19 janvier des suites d’un accident de ski. Face au caractère brutal et imprévu de cette disparition, face à la jeunesse de l’acteur de 37 ans, son décès a donné lieu à de nombreux hommages. À ce titre, l’un de ses plus grands rôles, celui du personnage de Louis dans le film Juste la fin du monde (2016) de Xavier Dolan (qui sera diffusé sur Arte vendredi 21 janvier), prend aujourd’hui une couleur particulièrement dramatique. Dans cette adaptation de la pièce de Jean-Luc Lagarce, Ulliel incarne un écrivain qui retourne voir sa famille après 12 ans d’absence… pour annoncer qu’il va mourir. Selon Vladimir Jankélévitch, parler de sa propre mort relève justement de l’informulable, de l’impensable, voire de l’impossible. C’est cette incapacité à dire, qu’Ulliel parvient à restituer à l’écran avec beaucoup de finesse et de douceur.

 

« Faire le voyage, pour annoncer ma mort, l’annoncer moi-même et paraître pouvoir me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être, jusqu’à cette extrémité, mon propre maître. » C’est une sensation profondément troublante que d’entendre ces mots de la bouche de Gaspard Ulliel, héros du film Juste la fin du monde. Car contrairement à cette œuvre de fiction, dans la vie réelle, la mort de l’acteur sera bien annoncée à la radio, dans les journaux et à travers les hommages qui parsèment la toile depuis deux jours. Le non-dit du film se met brutalement à exister et efface tout à coup la frontière entre la fiction et le réel, rendant d’autant plus poignant, dans ces circonstances, le visionnage du drame de Xavier Dolan.

Dans le film, Ulliel donne à voir, à ressentir physiquement et psychologiquement, cette incapacité à formuler l’innommable : « Je vais mourir ». L’impossibilité de parler ne vient pas de sa personne mais de son message, inenvisageable pour les siens, et sans doute aussi pour lui-même. Si parler de sa propre mort est la chose la plus difficile qui soit, c’est parce qu’elle est littéralement impensable. Cette impossibilité d’ordre métaphysique a été explorée par le philosophe Vladimir Jankélévitch, qui écrit : « Je ne meurs jamais pour moi ; pour moi, la mort n’existe jamais, ou, comme nous disions encore : ce n’est jamais moi qui meurs » (La Mort, 1966). On ne peut jamais vraiment penser, et encore moins formuler, sa propre fin.

Cette parole impossible accentue l’écart entre deux mondes : celui de la famille de Louis, qui a continué de tourner malgré son absence, et le sien, qui va bientôt s’arrêter. Le jeu d’acteur d’Ulliel est donc intensément resserré dans quelques courtes répliques, et surtout, dans ses regards toujours plus distants. Comme le remarque sa mère (incarnée par Nathalie Baye), il s’en tient souvent à « deux-trois mots, et un petit sourire ». Et même lorsqu’il essaie de créer du lien en racontant sa nostalgie à son frère (Vincent Cassel), il ne fait que creuser l’éloignement et renforcer l’incompréhension de son aîné. Il appartient au passé, quand sa famille reste chevillée au présent.

Sauf que contrairement au réel, le film nous laisse une échappatoire. Tout se passe comme si l’absence d’annonce, l’échec à prononcer le fatidique « Je vais mourir » retardait l’échéance en donnant une petite chance à l’existence. La vraie vie, regrette Jankélévitch, laisse parfois moins d’espoir. Lorsque « la mort appelle personnellement par mon nom, sans me laisser le loisir de loucher vers le voisin ; les échappatoires me sont désormais refusées autant que les délais », écrit-il.

Si le cinéma autorise cette forme d’espoir, c’est parce que la vie y reprend le dessus. Dans ce film, malgré l’atmosphère pesante, chacun des membres de la famille essaie de montrer un petit bout de son quotidien, de soi-même. La sœur de Louis (Léa Seydoux) et sa mère font une démonstration d’aérobic, sa belle-sœur (Marion Cotillard) parle de ses neveux et nièces, son frère tente quelques mauvaises blagues. Ces petites bribes de vie familiale, ces instants rieurs en forme de souvenirs ou d’anecdotes auxquels Louis assiste avec un sourire mélancolique, constituent en définitive les moments les plus importants du film. C’est bien parce qu’il ne parvient pas à formuler ce qu’il était venu dire que la vie peut, encore un peu, continuer de fourmiller autour de lui.

En se concentrant sur la vie, Juste la fin du monde nous détourne finalement de « la fin du monde » annoncée. Lorsqu’on ne veut plus penser à la mort, explique Jankélévitch « il ne nous reste, semble-t-il, que deux solutions : ou bien penser sur la mort, autour de la mort, à propos de la mort ; ou bien penser à autre chose qu’à la mort, et par exemple à la vie ». Après une annonce aussi abrupte, (re)voir les films dans lesquels Ulliel a joué reste sans doute l’une des meilleures manières de privilégier la deuxième option.

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