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Je suis Fassbinder de Falk Richter, co-mis en scène par Stanislas Nordey © jean-Louis Fernandez

Théâtre

“Je suis Fassinder”: quand l’art remue nos contractions intimes et politiques

Cédric Enjalbert publié le 17 mai 2016 4 min
De quoi nos peurs et nos replis identitaires sont-ils le nom ? Que peut dire aujourd’hui un artiste de l’état du monde ? Dans “Je suis Fassbinder”, le dramaturge allemand Falk Richter et le metteur en scène Stanislas Nordey prennent à bras le corps ces préoccupations politiques pour les explorer personnellement. À voir au Théâtre de la Colline, à Paris, jusqu’au 4 juin 2016.

Chercher querelle. Avec cette ambition intellectuelle pour toute définition artistique, le dramaturge allemand Falk Richter et le metteur en scène Stanislas Nordey imaginent Je suis Fassbinder, un spectacle vif qui remue nos contradictions intimes pour les exaspérer et nos préoccupations politiques pour les inquiéter plus encore.


Allégorie de l’Europe

En deux heures qui passent en flèche, mêlées d’échanges échevelés, de monologues inquiets, d’improvisations bien rodées et d’extraits de films, le spectacle met sur la table nos peurs tues. Il expose nos préoccupations honteuses sans pudeur ni démagogie. À la manière du cinéaste allemand, « une sorte d’intellectuel émotionnel » qui donne son titre au spectacle, Je suis Fassbinder mêle l’intime au politique, montrant comment un même ressort anime nos pulsions, « combien le contexte, le système politique [influence] les relations amoureuses ».

Relents de xénophobie vs. inquiétudes identitaires ; perspective sur l’avenir politique de l’Europe vs. vision projective dans notre vie d’homme ; recherche d’un chef politique vs. aspiration à une relation de couple : Falk Richter ne cesse de rendre poreuses ces frontières en croisant les sphères microscopiques et macroscopiques. Une allégorie de l’Europe s’exclame ainsi dans une harangue lyrique, collationnant les fiertés et les bassesses du continent, renvoyant aux incohérences de tous :

Je suis l’Europe
et je ne tiens pas debout, je me brise, je m’effondre,
je sens cette DÉCHIRURE ces DÉCHIREMENTS
je suis DÉCHIRÉE de toutes parts
par une grande
insécurité
le trouble
le désarroi
la panique
l’hystérie
la haine
Je ne sais pas qui je suis
il y a une grande peur


Fin de l’histoire

Je suis Fassbinder donc je ne sais pas qui je suis pourrait être le credo de cette pièce électrisante. Rarement le sentiment contradictoire d’être lié individuellement à une communauté a été montré avec autant de vigueur. Cette communauté de destin qui contredit les aspirations individualistes apparaît précisément comme le motif d’inquiétude du sujet contemporain. Plutôt que d’affronter les conflits historiques, l’individu terrorisé dont Je suis Fassbinder dessine le contour s’en remet à un fantasme de « désappartenance », au rêve d’une existence hors sol : être et ne pas être, avoir le monde pour territoire et pouvoir continuer à dire : « ici chez moi ».

Détaché physiquement et géographiquement, il se défait aussi intellectuellement de tout ancrage politique, se désengage, laissant reposer ses vagues espoirs sur le retour d’une figure providentielle, nourrissant « le désir d’un bon père qui dise quoi faire et s’occupe de tous, qui organise le chaos et ne fasse de mal à personne, ne punisse que les méchants et laisse les bons vivre en paix ce désir qu’arrive un dirigeant autoritaire très gentil est en train d’infester tout ce continent. » Avis à ceux qui auraient cru à « la fin de l’histoire » : le réel plus fort que toute idéologie rappelle à qui veut l’entendre que l’histoire continue à son rythme catastrophique, n’en déplaise au rêveur qui ne veut pas « de toutes ces contradictions, de tout ce conflit ».

Dans La Fin de l’Histoire et le dernier homme, le philosophe Francis Fukuyama s’inspire de Hegel pour prévoir qu’avec l’effondrement du bloc soviétique, il n’existera plus d’alternative au modèle de la démocratie libérale porté par la globalisation économique. Le philosophe pressent cependant le danger qui menace ce nouvel ordre mondial : réduisant la politique à une affaire de gestion dans une société toujours plus homogène, la démocratie libérale dissipe les promesses d’avenir et suscite l'ennui. « Les êtres humains se révolteront à cette pensée, à l’idée d’être les membres indifférenciés d’un État universel et homogène, chacun étant le même que l’autre, quel que soit l’endroit du monde où l’on aille… Ils voudront avoir des idéaux au nom de quoi vivre et mourir. » Les sursauts politiques réactionnaires qui traversent l’Europe aujourd’hui, en réactivant les peurs identitaires ne renforcent-ils pas ainsi cette passion inégalitaire ?

 


Images pensives

Le motif de la recherche de l’inégalité, du rapport de domination, hante l’œuvre de Fassbinder. De ces passions solitaires, Falk Richter tire à son tour une matière théâtrale, politique sans être militante, explorant les limites de la liberté d’expression artistique. Et Stanislas Nordey en fait un manifeste pour un art de notre temps, assumant avec conviction le rôle d’un théâtre conscient, nullement dogmatique, fidèle à la conception du spectateur émancipé défendue par Jacques Rancière. Pour le philosophe, il ne s’agit pas au théâtre de créer la révolte en présentant des situations révoltantes, mais de créer des « images pensives », propres à susciter la réflexion et la contradiction. Lui-même acteur de cette pièce, Stanislas Nordey dirige Thomas Gonzalez, Judith Henry, Éloïse Mignon et Laurent Sauvage en ce sens: tous maintiennent un trouble embarrassant qui laisse l’existence traverser la scène et submerger les acteurs, comme les spectateurs. Où est la fiction et où la vie, où la chronique d’actualité et où le théâtre ? Je suis Fassbinder rend la décision si joliment impossible, sinon inutile. Allez voir Je suis Fassbinder : à défaut d’idées claires, vous les aurez plus nombreuses, plus vives et plus pensives.

Informations
Je suis Fassbinder,
de Falk Richter
Traduction de l'allemand d’Anne Monfort
Mise en scène de Stanislas Nordey et Falk Richter
 
Avec: Thomas Gonzalez, Judith Henry, Éloïse Mignon, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage
Collaboration artistique : Claire ingrid Cottanceau
Dramaturgie : Nils Haarmann
Scénographie et costumes : Katrin Hoffmann
Assistanat aux costumes : Juliette Gaudel
Assistanat à la scénographie : Fabienne Delude
Lumière : Stéphanie Daniel
Musique : Matthias Grübel
Vidéo : Aliocha Van der Avoort
Du 10 mai au 4 juin 2016, du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
Durée: 1h55
 
Théâtre de la Colline
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Réservations: 01 44 62 52 52 / billetterie@colline.fr

 

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