Autonomie de la Corse : la faute à Rousseau !
Depuis que le militant indépendantiste corse Yvan Colonna, condamné à la perpétuité pour l’assassinat du préfet Érignac en 1998, a été gravement agressé à la prison d’Arles le 2 mars, la tension ne cesse de monter en Corse. Des manifestations ont lieu chaque jour, arborant des pancartes « État assassin », et de nombreux bâtiments publics sont vandalisés. D’un côté, bon nombre d’élus indépendantistes semblent manifester à l’égard des casseurs une certaine complaisance ; de l’autre, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin assure à Corse Matin qu’une « autonomie » de la Corse est envisageable. Pourquoi une telle attitude de la part de représentants publics ? Eléments d’explication avec Rousseau, auteur en 1764 d’un « plan de gouvernement pour la Corse ».
Un contrat social à la corse ?
« Il est encore en Europe un pays capable de législation ; c’est l’île de la Corse. » Cette phrase tirée du Contrat social (1762) séduisit tellement Matteo Buttafoco, capitaine au régiment Royal-Corse, qu’il écrivit à Rousseau en août 1764 pour que le célèbre philosophe des Lumières lui propose un Projet de Constitution pour son pays. Celui-ci, voyant dans cette demande l’occasion d’appliquer in vivo son « contrat social », accepta et reçut toutes les informations nécessaires pour échafauder un plan de gouvernance de l’île de Beauté. Son analyse de la situation met en évidence que la Corse jouit d’un privilège que n’ont pas les autres nations : sa capacité de résistance. Sous le joug des Génois depuis le XIVe siècle, les Corses se sont révoltés en 1729 contre leur oppresseur et, depuis, ne cessent de manifester leur désir d’indépendance malgré les dissensions entre les clans. Ici, plus que dans d’autres contrées européennes, le peuple est animé par cette « volonté générale » qui en assure l’unité. Son « amour de la patrie » ne demande qu’à se formaliser par un serment dont le texte de Rousseau détaille la réalisation.
Un plan contre la pauvreté
Rousseau perçoit (déjà ?) que l’île se heurte à un obstacle majeur qui contrecarre sa volonté d’autonomie : sa pauvreté. Pour y remédier, le philosophe propose une solution qui relève de l’économie politique : instituer l’administration « la moins coûteuse », celle d’un État républicain, qui est aussi « la plus favorable à l’agriculture » parce qu’elle répartit la population sur tout le territoire, ce qui permet à la fois de régler le problème des subsistances, d’augmenter la démographie et d’égaliser les rapports entre citoyens. « Il faut que tout le monde vive et que personne ne s’enrichisse. C’est là le principe fondamental de la prospérité de la nation. »
Colonna contre Rousseau
Rousseau laisse finalement son texte inachevé. L’achat de la Corse par Louis XV, officialisé par le traité de Versailles du 15 mai 1768, rendait caduc un tel projet républicain. On se doute que Rousseau ne vit pas d’un bon œil cette appropriation. Lorsque l’abbé de Germanes, auteur en 1771 d’une Histoire des révolutions de Corse, favorable à son annexion sous prétexte que la France la protégerait de l’anarchie, demanda à Rousseau de lui fournir des documents sur l’île, celui-ci refusa catégoriquement. À ses yeux, la Corse avait pour seul destin légitime de devenir une république indépendante. Aussi, l’image mythifiée dont jouit aujourd’hui Yvan Colonna auprès de la jeunesse corse radicalisée est-elle particulièrement ambiguë. Car en se faisant « préfecticide », l’indépendantiste a désuni ce que Rousseau considérait comme salvateur pour la bonne gouvernance de la Corse : l’autonomie de l’île et une constitution républicaine respectueuse des représentants de l’État. Ironie de l’histoire, c’est le plus célèbre des Corses, Napoléon Bonaparte, lorsqu’il était Premier consul et pas encore empereur, qui institua le 17 février 1800 le corps des préfets, pour déconcentrer le pouvoir de l’État et assurer le bon fonctionnement de la démocratie dans chacun de ses territoires…
« Un jour, cette petite île étonnera l’Europe » Jean-Jacques Rousseau Du contrat social
Le Brexit a eu pour effet collatéral de renforcer le nationalisme des Écossais, qui réclament, de plus en plus, leur indépendance vis-à-vis du…
Plusieurs philosophes ont fait du contrat le moment fondateur de la communauté politique. Pour Hobbes, Locke et Rousseau, sortir de l’état de nature suppose un moment à la fois d’association et de renoncement de la part des individus…
L’“Émile” a révolutionné notre conception de l’éducation en faisant de l’autonomie de l’enfant la fin et le ressort de tout apprentissage. Mais il aura fallu plus de deux siècles et des moyens opposés à ceux qu’envisageait Rousseau pour…
L’État, notion proprement politique, désigne l’autorité la plus haute pour gérer le vivre ensemble. Il se distingue de la société à laquelle il impose son arbitrage lorsque des conflits apparaissent entre les intérêts privés. Détenteur…
Jean Jacques Rousseau (1712-1778) accorde autant de place dans son œuvre à la réflexion politique (“Du contrat social”, “Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes”) qu’à l’introspection autobiographique (…
On peut donner deux sens au mot histoire : ce que l’homme a vécu, et le récit qu’il en fait. En tant que récit, l’histoire suppose l’écriture, dont l’invention marque le passage de la préhistoire à l’histoire. Tournée vers le passé,…
Dans le Léviathan, Hobbes bouleverse la philosophie politique, notamment en introduisant la fiction d’un état de nature apocalyptique. Rousseau y opposera une vision bien différente : s’il reprend la théorie du contrat, le philosophe…