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Marche blanche en l’honneur de Nahel M., tué par un membre des forces de l’ordre. © Gauthier Bedrignans/Hans Lucas/AFP

Mort de Nahel M.

“Pas de justice, pas de paix” : décryptage d’un slogan

Clara Degiovanni publié le 29 juin 2023 5 min

Le slogan « pas de justice, pas de paix » a été scandé lors des différentes manifestations de soutien au jeune Nahel M., abattu mardi 27 juin par un policier. Examinons la genèse et le sens profond que l’on doit donner à cette formule.


 

« Pas de justice, pas de paix. » la formule, actuellement en « top tweet » sur le réseau social Twitter, a été prononcée plusieurs fois depuis la mort de Nahel M., 17 ans, abattu à bout portant par un policier mardi 27 juin suite à un « refus d’obtempérer » au volant d’une voiture. Scandée lors de la marche blanche organisée pour la mémoire du jeune homme mercredi 28 juin, elle a également été reprise par Mornia Labssi, représentante du collectif « Rejoignons-nous » et par Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV qui a affirmé jeudi, sur la chaîne France Info : « Sans justice et sans vérité, il n’y aura pas de paix. »

Un slogan originellement antiraciste

La version américaine de la formule, « No justice, no peace », est intimement liée à la lutte antiraciste. Elle est prononcée pour la première fois à Howard Beach, un quartier de New York (États-Unis), après la mort de Michael Griffith, un jeune Afro-Américain de 23 ans mortellement percuté par des voitures sur l’autoroute alors qu’il tentait de fuir une attaque raciste menée par des hommes armés, le 20 décembre 1986. Le slogan sera repris à Londres (Royaume-Uni) en 2011, suite à la disparition de Mark Duggan, un jeune Noir de 29 ans tué par un policier : un événement qui avait également déclenché des émeutes très violentes. Elle est enfin régulièrement scandée lors des manifestations qui ont suivi le décès de George Floyd, en 2020. La forme française actuelle du slogan a été prononcée pour la première fois dans l’Hexagone après l’acquittement de Marie Garnier, l’autrice d’un coup de feu qui avait tué Ali Rafa, 23 ans, le 12 février 1989. Pour le pasteur et militant des droits civiques américain Al Sharpton, la formule est ainsi devenue « un cri de ralliement » qu’il faut mobiliser « chaque fois qu’une grave erreur judiciaire s’est abattue sur des personnes privées de leurs droits ».

La justice avant tout

Court et percutant sur le plan militant, ce slogan a aussi un sens philosophique très fort. En affirmant qu’il n’a « pas de paix sans justice », on estime que la justice est première, fondamentale, dans la hiérarchie des normes. Ce primat de la justice sur la paix se rapproche de la vision d’Antigone de Sophocle, pour qui la justice – divine et absolue – doit primer sur tout le reste, y compris sur le risque de discorde et de trouble social au sein de la Cité.

L’option à laquelle s’oppose indirectement ce slogan consiste à dire qu’il ne peut, à l’inverse, y avoir de véritable justice si l’on n’instaure pas la paix au préalable. Autrement dit, le temps long et laborieux de la justice nécessite un climat apaisé, favorable à la réflexion. C’est ce que l’on a pu entendre dans la sphère politique avec les multiples « appels au calme » qui ont émané du gouvernement. Des messages critiqués avec virulence par certains partis politique, notamment la France insoumise, avec entre autres le jeune député David Guiraud qui a affirmé ce matin « Moi, je n’appelle pas au calme. J’appelle à la justice », manifestant que dans la hiérarchie des normes, il place la justice avant la paix.

Les limites de l’opposition

Sur le plan philosophique, les deux options ont toutes les deux des limites. D’un côté, faire primer la justice sur la paix peut être contreproductif. En effet, une justice véritablement juste peut-elle être rendue dans un climat de violence ? L’absence de paix ne vient-elle pas nuire à la possibilité même de l’ordre judiciaire, qui demande un état des choses pacifié et un esprit libéré de la peur ? Or tout miser sur la paix semble également dangereux. Une paix sans justice, n’équivaut-elle pas à un maintien de l’ordre potentiellement violent, ou à une tranquillité civile de surface, qui ne fait que cacher une détresse et une rancœur profondes vouées à éclater à la moindre occasion ?

En un mot, les deux voies peuvent toutes deux aboutir à un résultat inverse de ce qui été visé : les partisans de la paix à tout prix risquent d’obtenir la guerre, et ceux qui revendiquent la justice avant toute chose se hasardent à l’injustice.

Menace ou constat ?

Dans un article publié dans le quotidien britannique The Guardian en 2014, Al Sharpton souligne que le slogan a été interprété de différentes manières. Il a parfois été considéré comme une menace directe à l’ordre public, une manière de dire « “si vous ne pouvez pas nous garantir justice, nous ne vous laisserons pas en paix”, ce qui revient à un appel à l’émeute ». Dans le cas de la mort du jeune Nanterrien, c’est une réaction qui a pu être observée, notamment sur les réseaux sociaux, avec des posts Twitter tels que celui-ci : « Qui sème le vent récolte la tempête. Le temps de la révolte est arrivé », assorti du hashtag #pasdejusticepasdepaix. Les émeutes qui ont eu lieu cette nuit dans plusieurs parties de la France, incluant des attaques lancées tous azimuts contre des écoles et des bâtiments publics, semblent aller dans ce sens.

La formule est toutefois plus intéressante si l’on ressaisit sa portée philosophique. Elle peut aussi signifier que la paix est impossible, si la justice n’advient pas. Elle est ici un constat, non une menace. En 2012, quand le meurtrier de l’Afro-Américain Trayvon Martin, âgé de 17 ans, est acquitté, l’aumônier de l’université de Pennsylvanie déclare qu’un « manque de justice a entraîné un manque de paix ». La paix qu’il appelle de ses vœux – celle qui résulte de la justice –  est une paix sociale, mais aussi une paix intérieure. Les cœurs lourds manquent maintenant de paix en raison du manque de justice dans notre pays », regrettera-t-il. Ce dernier cas montre que vouloir faire primer la justice ne signifie pas forcément que l’on souhaite la guerre. Affirmer « pas de justice, pas de paix », c’est estimer non seulement que la justice est première, mais aussi qu’elle est féconde. Elle est la condition sans laquelle nulle paix réelle et durable ne peut advenir. En bref, la formule signifie très simplement que la justice est pacificatrice… alors que la paix n’est pas nécessairement productrice de justice.

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