Peut-on restaurer l’autorité ?

C’est le mot de la rentrée. « Les Français veulent plus d’autorité, moins d’impôts, moins d’immigration », martèle le président du groupe Les Républicains et député Éric Ciotti. « La France traverse une crise d’autorité », diagnostique Nicolas Sarkozy. « Notre pays a besoin d’un retour de l’autorité à chaque niveau », affirme le président de la République. Mais peut-on décréter l’autorité ? Analyse avec Alexandre Kojève et Hannah Arendt.

Qu’est-ce donc que l’autorité, dont les politiques s’empressent de réclamer le retour ? Le philosophe Alexandre Kojève (1902-1968), dans La Notion de l’autorité (1942), en propose une description. D’abord, remarque-t-il, « l’Autorité est […] nécessairement une relation (entre agent et patient) […] ; il faut être pour le moins deux pour qu’il y ait Autorité ». À cette condition formelle s’ajoute une détermination plus précise : « L’Autorité est la possibilité qu’a un agent d’agir sur les autres (ou sur un autre) », de leur faire faire ce qu’il veut qu’ils fassent, « sans que ces autres réagissent sur lui, tout en étant capables de le faire. […] En agissant avec Autorité, l’agent peut changer le donné humain extérieur, sans subir de contrecoup, c’est-à-dire sans changer lui-même en fonction de son action. »

Cette définition implique que ceux qui obéissent à l’autorité aient la possibilité de résister, mais qu’ils y renoncent « librement » et « volontairement ». L’autorité exclut l’usage de la force : « Non seulement exercer une autorité n’est pas la même chose qu’user de la force (de violence), mais les deux phénomènes s’excluent mutuellement. D’une manière générale, il ne faut rien faire pour exercer l’Autorité. Le fait d’être obligé de faire intervenir la force (la violence) prouve qu’il n’y a pas d’Autorité en cause. Inversement, on ne peut […] faire faire aux gens ce qu’ils n’auraient pas fait spontanément (d’eux-mêmes) qu’en faisant intervenir l’Autorité. » Hannah Arendt, dans La Crise de la culture (1954), partage cette analyse, et y ajoute un élément : l’autorité n’a pas à persuader celui sur qui elle s’applique pour être effective. « S’il faut vraiment définir l’autorité, alors ce doit être en l’opposant à la fois à la contrainte par force et à la persuasion par arguments. » L’autorité, en somme, « est la possibilité d’agir sans faire de compromis » (un grand mot démocratique), de décider sans que lui soit opposée de résistance, physique ou intellectuelle.