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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Arnold Schwarzenegger dans “Total Recall” (1990), realisé par Paul Verhoeven. © Carolco Pictures/Collection ChristopheL/AFP

Souvenirs, souvenirs

Se faire greffer des souvenirs : rêve ou cauchemar ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 02 novembre 2021 4 min

Transférer des souvenirs d’un être vivant vers un autre : c’est la prouesse réalisée par des scientifiques de l’université de Californie, menés par David Glanzman. Ils sont parvenus à isoler, au niveau moléculaire, le souvenir d’un escargot de mer (Aplysia californica) habitué à se défendre contre un stimulus ; puis ils ont transféré le fragment de mémoire dans un autre individu… qui a développé les mêmes réflexes !

Cette expérience n’est pas sans rappeler le grand succès de l’année 1990 au cinéma, Total Recall – cette adaptation par Paul Verhoeven de la nouvelle Souvenirs à vendre, de Philip K. Dick, qui tourne autour du chaos extraordinaire généré par une implantation de souvenirs tiers dans la tête d’un individu. Mais elle peut aussi évoquer le film de Michel Gondry Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), où un homme veut modifier sa mémoire pour oublier une rupture amoureuse. Bref : si le procédé parvenait, à terme, à être employé pour des humains, les pistes ouvertes deviendraient vertigineuses. Le philosophe John Locke s’en serait sans doute inquiété...

 

  • L’idée d’une greffe de souvenir aurait sans doute suscité une vive inquiétude de la part de Locke. Car, pour le philosophe anglais, la mémoire est la matrice même de notre « identité personnelle », comme il l’explique dans son Essai sur l’entendement humain (1695). Fidèle à la tradition empiriste, qui considère que toutes nos connaissances nous viennent de l’expérience, Locke soutient qu’il est impossible de définir le « Je » comme une « substance ». Descartes est implicitement visé : chez Locke, il n’y a pas de cogito, notre Moi n’est pas un objet qu’il nous serait possible de rencontrer.
  • L’identité est d’abord une « identité de conscience ». Le Je est « un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux. » Il tient, essentiellement, à la capacité de s’approprier ses actes de conscience, de rapporter ceux-ci à soi-même. Non seulement les actes présents, mais l’ensemble des actes passés : « L’identité de telle personne s’étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée ; c’est le même soi maintenant qu’alors, et le soi qui a exécuté cette action est le même que celui qui, à présent, réfléchit sur elle. »
  • L’identité personnelle est donc fondée sur la mémoire. Mais alors, que faire des personnes amnésiques ou, à l’inverse, des gens qui auraient des souvenirs parfaitement identiques ? Ces cas problématiques poussent Locke à quelques sophistications conceptuelles : « Supposé que je perde entièrement le souvenir de quelques parties de ma vie […] ne suis-je pourtant pas la même personne qui a fait ces actions, qui a eu ces pensées ? » Pour répondre, il faut distinguer l’être humain – son corps physique – et la personne – la continuité de la conscience. « Il est hors de doute que le même homme doit constituer différentes personnes en différents temps », note Locke. Par exemple, nous ne sommes pas le même lorsque nous veillons et lorsque nous dormons. Le raisonnement peut sembler étrange. Mais l’idée même que nos souvenirs nous définissent résiste. Nous y adhérons tous plus ou moins.
  • La possibilité d’une greffe de mémoire paraît, de ce point de vue, constituer une menace pour notre identité personnelle. Menace d’autant plus terrible que, comme le montre Locke, nous sommes incapables de nous souvenir d’une action sans nous l’imputer immédiatement. En vertu de la structure réflexive de la conscience, se remémorer un fait, c’est inévitablement le faire sien. Et Locke de raisonner presque par l’absurde, mais de façon éclairante : « Si par exemple, je sentais également en moi-même, que j’ai vu l’Arche et le Déluge de Noé, comme je sens que j’ai vu, l’hiver passé, l’inondation de la Tamise, ou que j’écris présentement, je ne pourrais non plus douter, que le Moi qui écrit dans ce moment, qui a vu, l’hiver passé inonder la Tamise, et qui a été présent au Déluge Universel, ne fût le même soi. »
  • Nous n’avons aucun critère de distinction pour démêler nos vrais souvenirs de ceux qui nous seraient injectés. L’implantation, la manipulation ou la création de vrais-faux souvenirs est d’ailleurs le thème d’une myriade d’œuvres de fiction, en particulier au cinéma – du blockbuster de science-fiction susmentionné au psychologiquement saisissant Valse avec Bachir (2008) pour ne citer qu’eux, le leitmotiv de la mémoire (auto-)manipulée n’a de cesse de fasciner le grand écran. Or, dans leur majorité, ces œuvres ont en commun de nous avertir sur les périls de manipuler ainsi l’identité humaine ; en effet, nous pouvons savoir pertinemment que certains fragments de mémoire ne sont pas les nôtres, nous ne pourrons nous empêcher de croire qu’ils le sont. Une bonne raison, sans doute, de nous méfier des projets d’extraction et de transfert de souvenirs. Dans La Fabrique des souvenirs (Albin Michel, 2021), l’écrivaine Clélia Renucci imagine d’autres dangers encore, à commencer par la création progressive d’un marché des souvenirs, vendus à prix d’or pour peu qu’ils procurent une forte estime de soi ou fournissent des informations inédites sur un événement. La greffe de souvenirs n’est pas pour demain, sans doute, mais elle nous interroge dès aujourd’hui.
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Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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