“La pensée végétale”, de Michael Marder
Longtemps négligées par la philosophie, les plantes sont sur le devant de la scène depuis quelques années. Au point que certains parlent d’un véritable « tournant végétal », dont Michael Marder est l’un de piliers. Les Presses du réel proposent, aujourd’hui, la première traduction de son manifeste fondateur, La Pensée végétale. Une philosophie de la vie des plantes. Que font les plantes à la pensée ? Selon le philosophe canadien, elles remettent en question – rien de moins – tout l’édifice métaphysique de la tradition occidentale. Il est urgent d’apprendre à les découvrir dans leur altérité radicale, leur étrangeté singulière pour penser à nouveau frais le vivant.
- Oubli. Si l’animal a conquis, depuis quelques décennies, sa place dans le discours philosophique, la manière d’être de la plante reste encore, largement, impensée. Impensée, ou impensable, dans le cadre de la métaphysique occidentale, qui l’a toujours réduite au degré le plus primitif de la vie, tout juste distinct du minéral : contrairement à l’animal, qui ressemble à l’organisme humain, la plante est radicalement autre. Elle est « indéterminée », disait déjà Théophraste : virtuellement immortelle, elle grandit sans arrêt, défait et refait sans cesse son aspect, et n’atteint jamais une forme finie ; capable de se multiplier sans reproduction sexuée, par bouturage, par greffe, par marcottage, elle est moins un organisme dont toutes les parties sont interdépendantes qu’un ensemble d’individus capables de prendre leur indépendance. Bref, au thème fondateur de la métaphysique – l’un –, la plante oppose une pluralité inquiétante.
- Rencontre. Reste donc, pour Marder, à apprendre à rencontrer la plante dans son altérité radicale, à interroger la singularité de sa « manière d’être au monde ». Car oui, la plante possède un monde : elle n’est pas réduite à l’espace qu’occupe son corps, mais est tendue vers le haut, dans l’amplitude du ciel, et vers le bas, dans le secret de la terre – tension qui manifeste son « intentionnalité non consciente ». Entre deux mondes, la plante est enracinée, immobile dans son milieu, contrairement aux autres vivants qui peuvent s’y mouvoir. Elle n’est pas, cependant, « captive » de ce milieu : « La luxuriance ontique de la vie végétale et son épanouissement incontrôlable » manifeste en elle une liberté, une plasticité, une capacité d’invention et d’adaptation exceptionnelle.
- Déconstruction. Prendre au sérieux la plante, c’est reconnaître qu’elle n’est pas un degré inférieur sur l’échelle de la vie, mais bien une toute autre manière d’être vivant. Le mode d’existence de la plante est tout entier tourné vers l’expansion, vers l’extérieur, vers l’autre (la lumière, l’eau, etc.) – Marder parle d’« hétéro-temporalité » – là où l’homme, et plus généralement l’animal, se recroqueville vers les profondeurs d’un espace intérieur. L’âme des animaux se distingue, par renfermement, du corps ; l’âme végétale, au contraire, s’étire et fait corps, littéralement, avec la chair de la plante sans retour vers une intériorité. Penser l’altérité du végétal fait exploser nos dualismes métaphysiques : « Le soi et l’autre, la profondeur et la surface, la vie et la mort, l’un et l’autre ».
- Éthique. Si les plantes ont une âme, si elles sont, non des vivants inférieurs, mais des vivants à part entière, quel rapport devons-nous avoir avec elles ? Nous devons les « respecter », répond Marder. « Attenter à la vie végétale nuit à la fois aux plantes que nous détruisons et à quelque chose en nous de végétal. » Il nous faut donc renoncer aux déforestations massives, mais aussi à nos pratiques agricoles qui détruisent le « temps des plantes » à grand renfort d’engrais et de lumière artificielle. Peut-on, même, nous alimenter de végétaux ? Oui, à condition de ne pas réduire la plante à son « instrumentalité ». Les choses sont bien faites, car la plante est infiniment divisible : nous pouvons la préserver en prélevant sa part consommable. « Nous entrons dans une relation rhizomique avec le végétal lorsque nous mangeons des fruits et des légumes cultivés localement, en tenant compte de la sagesse des plantes. » Un horizon utopique encore lointain, cependant. Peut-être même irréalisable ?
La Pensée végétale. Une philosophie de la vie des plantes de Michael Marder, traduit de l’anglais par Cassandre Gruyer et préfacé par Gianni Vattimo et Santiago Zabala, vient de paraître aux Presses du réel. Il est disponible ici.
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