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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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À Mulhouse (Haut-Rhin), le 2 avril, les funérailles d'une femme âgée morte du Covid-19 se font dans la plus stricte intimité du fait des mesures de confinement. © Véronique de Viguerie/Getty Images/AFP

Enquête

Mourir seul

Vinciane Despret, Denis Moreau, propos recueillis par Michel Eltchaninoff publié le 14 avril 2020 14 min

Dans les hôpitaux, dans les Ehpad, de nombreuses personnes, atteintes du Covid-19 ou d’autres pathologies, meurent sans avoir pu dire adieu à leurs proches. Quant aux obsèques, elles ne peuvent être organisées comme à l’accoutumée, car le nombre de personnes admises est sévèrement restreint. Comment supporter, ou surmonter, cette solitude dans la mort et les rites ? Témoignages de soignants et réponses de trois philosophes.

« Est-ce que je peux la toucher ? — Ce n’est pas prudent, répond le médecin à la porte de la chambre, vous connaissez le très fort risque de transmission du virus. » Et pourtant, « la seule chose que l’on ait envie de faire avec un proche qui est en train de partir, c’est de lui prendre la main, de le prendre dans ses bras. Mais là, il n’y a pas de contact physique. C’est effroyable ». Quand Thomas Hovasse, cardiologue interventionnel devenu en quelques jours « covidologue » à l’hôpital Jacques-Cartier à Massy (Essonne), raconte les derniers jours des malades du Covid-19, on sent la détresse et l’anxiété générales. Car rien n’est plus comme avant. Les visites habituelles sont interdites dans tous les services. C’est seulement « quand on pense que les choses vont mal se passer pour certains patients qu’on autorise les familles à venir voir leurs proches », admet Thomas Hovasse. Comme les soignants, les membres de la famille doivent être masqués et, comme il dit, en « tenue de cosmonaute », ce qui rend le contact difficile. Dire adieu à un proche le visage couvert et sans pouvoir le toucher est perturbant. « Mais il est possible qu’à cause d’une aggravation brutale, les proches n’aient pas le temps de venir. Ce satané virus peut provoquer une détresse respiratoire en quelques heures. » Depuis quelques semaines, que l’on soit malade ou non du Covid-19 d’ailleurs, puisque les visites sont limitées pour tout le monde, on meurt très souvent seul.

Cette situation, on le sait, est également dramatique pour les aînés, qu’ils soient restés chez eux ou qu’ils vivent dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Anne-Claire Rousselot, psychologue clinicienne dans le secteur de Maisons-Alfort (Val-de-Marne), constate « l’aggravation de la solitude des personnes âgées. Les ateliers de médiation thérapeutique, dits “ateliers mémoire”, qui servaient à rompre la solitude et à créer du lien social ont été supprimés. On se retrouve avec des patients complètement isolés chez eux, et qui ne comprennent pas. Certains, comme cette dame de 95 ans à qui j’ai parlé l’autre jour, ont des angoisses de mort. Elle m’a dit : “Je pourrais mourir seule.” Tout ce qui était ritualité a été interrompu. Les repas portés aux personnes âgées, par exemple, sont désormais posés devant la porte de leur domicile. » 

“Le confinement qui protège les personnes âgées les menace aussi. C’est très mal vécu. Nous constatons une sorte de déclin moral devant l’isolement”

Claire Patry, gériatre

Dans les Ehpad, la situation n’est guère plus brillante : « Les patients sont confinés dans leurs chambres. Tout le monde porte des masques. Les repas sont apportés en chambre. Il n’y a plus d’intervenants extérieurs. Et les familles ne peuvent plus venir depuis des semaines. » C’est terrible pour les personnes âgées qui sont, souligne Anne-Claire Rousselot, des « éponges émotionnelles. Elles ressentent très fortement ce que ressent leur entourage. C’est encore plus compliqué pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, car elles ne peuvent respecter les “gestes barrières” et les consignes. Et certaines souffrent énormément du changement de leurs habitudes ». C’est ce que confirme Claire Patry, gériatre à l’hôpital Bretonneau à Paris, mais aussi dans des Ehpad : « le confinement qui protège les personnes âgées les menace aussi. C’est très mal vécu. Nous constatons une sorte de déclin moral devant l’isolement. Et nous, les soignants, nous nous sentons souvent impuissants face à cette solitude. Beaucoup d’entre nous sommes nous-mêmes malades. Nous nous retrouvons donc moins nombreux, devant des personnes très angoissées, et en l’absence des proches. » Les aînés meurent dans la solitude, en tout cas sans revoir leurs proches. C’est pour répondre à cette situation de détresse qu’Emmanuel Macron, lors de son allocation du 13 avril, a annoncé que les adieux avec les proches seraient désormais rendus possibles dans les hôpitaux et les maisons de retraite. 

 

La fin de la « belle mort » ?

Mourir dans la solitude est l’une de nos grandes terreurs primordiales. Depuis l’Antiquité, les philosophes ont déployé, pour la conjurer, l’image de la « belle mort » (kalos thanatos en grec), qui consiste à partir les yeux ouverts, lucide et digne. Or une mort honorable, un adieu serein réclament la présence des proches auxquels confier ses dernières paroles. Que l’on pense à Socrate, qui professe une leçon de philosophie avant de s’éteindre sans peur dans le Phédon, ou à Sénèque, qui se suicide sur ordre de Néron, accompagné par son épouse et veillé par ses disciples qui notent ses ultimes maximes, la belle mort est un événement hautement social. Plus modestement, le psychothérapeute américain Irvin Yalom, dans son livre Le Jardin d’Épicure. Regarder le soleil en face (Galaade Éditions, 2009), renoue avec cette tradition et montre comment, dans des unités de soins palliatifs, on peut aider les mourants à partir dans la dignité. À condition d’être entouré. 

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