Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Déplacement du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, aux Mureaux, le 7 juillet 2020. © Eliot Blondet/pool-REA

Politique

À quoi joue Gérald Darmanin ?

Nicolas Gastineau publié le 18 mai 2021 4 min

« La Famille Police Nationale est une nouvelle fois en deuil », annonce le communiqué des syndicats de police, après l’assassinat d’une agente administrative du commissariat de Rambouillet le 23 avril puis d’un policier à Avignon le 5 mai. En plus des commémorations, le texte appelle à une grande « marche citoyenne », le 19 mai, à Paris, qui se tiendra devant l’Assemblée Nationale. 

Alors que de nombreux responsables politiques de tous bords (PS, PCF, LR, RN notamment) ont annoncé leur participation, un manifestant inattendu retient l’attention : le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui a annoncé vouloir marcher aux côtés des policiers. Pourquoi est-ce curieux ?

Déjà, parce que Darmanin est un membre du gouvernement, et qu’il se retrouverait donc avec des manifestants qui réclament, par exemple, le durcissement de l’action du gouvernement pour punir les auteurs d’agressions sur les forces de l’ordre. Darmanin manifesterait-il contre lui-même ? Un dédoublement de personnalité qui a inspiré à l’opposition des commentaires acerbes : « C’est la première fois qu’on voit un ministre de l’Intérieur manifester contre sa propre inaction », observait avec sarcasme François-Xavier Bellamy, député européen LR. 

Mais derrière ces traits d’humour, l’interprétation que semble ici faire Darmanin de sa fonction pose problème : peut-on être simultanément membre du gouvernement et simple citoyen ?

Darmanin, acteur ou auteur ? 

Dans la deuxième partie du Léviathan (1651), Thomas Hobbes s’attarde longuement sur le principe de la représentation politique. « Une multitude d’hommes devient une seule personne quand ces hommes sont représentés par un seul homme, de telle sorte que cela se fasse avec le consentement de chaque individu singulier de cette multitude. » Quand un responsable politique représente des citoyens, il les contient tous en sa seule personne. Darmanin, en ce sens, est la personne des policiers. Jusqu’ici, tout va bien, mais ce mot, personne, a un sens précis. Hobbes n’ignore pas son étymologie (persona, le masque) et il emploie à dessein to personate, qui signifie à la fois jouer un rôle et assurer une représentation juridique. Autrement dit, pour Hobbes, le représentant politique est, un peu comme au théâtre, un acteur qui agit au nom des auteurs (les citoyens), à la différence qu’il doit pouvoir improviser. Mais cette distinction, Darmanin la brouille en allant manifester au côté des policiers, ceux-là même qu’il est sensé représenter et avec lesquels il ne doit pas se confondre. Ce faisant, il enlève son masque et cesse d’être acteur, il perd sa qualité hobbesienne de « personne de la République » pour redevenir... un simple auteur. Et dans les cas où un représentant fait son « propre acte », n’agit que pour son propre nom, ce qui semble ici être le cas de Darmanin, Hobbes conclut alors logiquement : « il ne représente aucune autre personne que la sienne ».

 

Premier flic de France ? 

Stanislas Guerini, le délégué général du parti de la majorité, défend Darmanin sur RFI, affirmant qu’il « ne va pas manifester contre lui-même, il sera dans son rôle de ministre de l’Intérieur, c’est-à-dire de premier policier de France ». Le mot « rôle », ici, rappelle déjà le sens théâtral de la représentation politique. Mais surtout, il y a cette célèbre expression, largement plus vieille que Darmanin : « premier flic de France », que l’on doit sans doute à Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur en 1906. C’est d’elle que vient la confusion, car si le ministre de l’Intérieur représente, au sens de Hobbes, les policiers, cette formule fait l’erreur de le confondre avec eux. Une confusion semble-t-il spécifique à l’Intérieur : imaginerait-on un garde des Sceaux premier juge de France, ou un ministre de la Culture premier artiste de France ? En fait, cette expression consacrée est déjà une infraction à la distinction entre l’acteur et l’auteur, en ce qu’il fait croire que l’acteur est le meilleur des auteurs... alors qu’il doit rester tout autre.

 

Ministre : personne schizophrène

Mais il y a autre chose. L’article 23 de la Constitution confirme bien que le « premier flic de France » est un pur abus de langage, puisqu’au cas où il subsisterait un doute, un membre du gouvernement ne peut exercer « toute fonction de représentation professionnelle à caractère national » ni « tout emploi public ou toute activité professionnelle ». Pourtant, d’après vie-publique.fr, le ministre est à la fois le « chef de service » de son ministère (c’est-à-dire, dans le cas de Darmanin, des policiers) et le représentant du gouvernement devant eux. C’est toute l’ambiguïté de la fonction du ministre de réussir à représenter ses équipes devant le gouvernement et le gouvernement devant ses équipes. Au sens d’Hobbes, on pourrait dire qu’il joue double-jeu, que le ministre doit incarner une double personne. Une fonction schizophrène donc, mais dont toute la subtilité consiste justement à savoir être les deux à la fois. Or, il semble que s’il participe demain à la manifestation... Darmanin aura renoncé à la moitié de sa personne.

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
7 min
Le Pen contre Macron : un duel mis en scène par Thomas Hobbes ?
Denis Maillard 04 avril 2022

Et s’il fallait revenir à l’essence de la représentation politique pour comprendre comment, en quelque semaines, Marine Le Pen est devenue une…

Le Pen contre Macron : un duel mis en scène par Thomas Hobbes ?

Article
9 min
Thomas Hobbes. Le monstre maudit
Martin Duru 28 octobre 2009

« La peur a été la seule grande passion de ma vie. » Chez Thomas Hobbes, ce sentiment n’a d’égal que sa foi inébranlable en la raison. Vivant à…

Thomas Hobbes. Le monstre maudit

Article
16 min
“Léviathan”. Les extraits
19 mars 2022

Nous reproduisons des extraits du Léviathan de Thomas Hobbes, traduits par Raoul Anthony.  


Article
5 min
"Un Monde" : Hobbes dans la cour de récré ?
Antony Chanthanakone 12 février 2022

En France, le harcèlement scolaire est un phénomène massif qui toucherait, selon les associations de prévention, près de 10 % des élèves. Une…

"Un Monde" : Hobbes dans la cour de récré ?

Article
10 min
“Léviathan” : à l’origine de la philosophie politique moderne
Victorine de Oliveira 19 mars 2022

Pour Hobbes, l’État n’est pas plus le cadre naturel de la vie en commun qu’il ne se fonde sur un quelconque droit divin. Il est une construction…

Céline Spector : “Avec Hobbes, on ne sort jamais de la peur”

Article
3 min
Hobbes et Rousseau croqués par Diderot
19 mars 2022

Dans le Léviathan, Hobbes bouleverse la philosophie politique, notamment en introduisant la fiction d’un état de nature apocalyptique. Rousseau y opposera une vision bien différente : s’il reprend la théorie du contrat, le philosophe…


Article
2 min
“Léviathan”. Colosse aux pieds d’argile
Victorine de Oliveira 19 mars 2022

Le Léviathan est un ouvrage ambitieux, traversé par la nécessité de fournir des fondations solides à ce que Hobbes entend faire de l’État moderne. En quatre parties, il pose les conditions de la stabilité et de la sécurité pour les…


Article
3 min
Cours tranquille à Henri-IV
Lia Duboucheron 25 septembre 2012

Ambiance appliquée dans l’un des lycées les plus réputés de France : Christina Poletto-Forget entraîne les élèves de terminale littéraire dans la lecture du Léviathan de Thomas Hobbes. Le sujet est toujours d’actualité : la rivalité et…


À Lire aussi
Quand Gérald Darmanin cite Antonio Gramsci
Quand Gérald Darmanin cite Antonio Gramsci
Par Octave Larmagnac-Matheron
février 2021
La famille, vue par Gérald Darmanin… et Jean-Jacques Rousseau
Par Octave Larmagnac-Matheron
mars 2024
“Refus d’obtempérer” : peut-on désobéir à la police ?
“Refus d’obtempérer” : peut-on désobéir à la police ?
Par Marius Chambrun
juin 2022
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. À quoi joue Gérald Darmanin ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse