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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Lecture d’été

La correspondance entre Descartes et la princesse Élisabeth : et le corps, alors ?

Caroline Pernes publié le 27 juillet 2022 4 min

L’été, on écrit des lettres. On peut en lire aussi, comme la correspondance entre René Descartes et la princesse Élisabeth : un dialogue sur la place du corps et des passions dans la pensée. Passionnant !

Courrier d’une lectrice : le corps et l’âme sont-ils vraiment séparés ?

Fille du roi de Bohême, Élisabeth (1618-1680) est une princesse exilée en Hollande. Grande intellectuelle, elle entretient une correspondance avec René Descartes pendant six ans, jusqu’à la mort de ce dernier, en 1650. Elle a lu ses écrits avec avidité, en particulier les Méditations métaphysiques (1641). Cherchant à fonder une fois pour toutes la connaissance, le philosophe a exclu des vérités considérées comme évidentes : le corps et les sensations. C’est en effet par la seule force de l’esprit que nous accédons au savoir absolument certain : cogito ergo sum – je pense, donc je suis.

Mais si la première vérité métaphysique se passe du corps, il faut pourtant bien, dans un second temps, rendre compte de nos expériences quotidiennes, ponctuées de sensations, de perceptions, et s’occuper de physique, donc des corps autour de nous. C’est sur ce point, abordé par Descartes à la fin des Méditations, qu’Élisabeth lui demande des précisions. Lectrice attentive, elle prend acte de la distinction que fait Descartes entre l’âme et le corps, mais s’interroge : comment ces deux substances peuvent-elles interagir ? Comment expliquer, par exemple, que lorsque mon esprit le désire, ma main se lève ?

Descartes propose de concevoir ce mécanisme sur le modèle de la pesanteur, une force indirecte. Mais Élisabeth n’est pas convaincue. Elle insiste : si l’âme est supérieure, pourquoi notre corps semble-t-il parfois nous dominer ? « Il est pourtant très difficile à comprendre qu’une âme, comme vous l’avez décrite, après avoir eu la faculté et l’habitude de bien raisonner, peut perdre tout cela par quelques vapeurs et que, pouvant subsister sans le corps et n’ayant rien de commun avec lui ; elle en soit totalement régie. » Descartes craint qu’Élisabeth ait lu les Méditations avec un excès de zèle, dans la mesure où il évoque lui-même l’interdépendance de l’âme et du corps (« étroite union »). Il lui conseille alors… de ne pas trop réfléchir ! La théorie est une chose, mais il faut se fier à son « instinct » : « Ainsi Votre Altesse ne laissera pas de revenir aisément à la connaissance de la distinction de l’âme et du corps, nonobstant qu’elle ait conçu leur union. »

En thérapie avec Descartes

La question de l’union de l’âme et du corps plane sur toute la correspondance, y compris dans des moments que l’on peut appeler thérapeutiques. Élisabeth évoque ses douleurs, et Descartes entreprend de l’aider à distance. Il préconise « une forte persuasion et ferme créance ». Dans un geste d’inspiration stoïcienne, il relie la santé à la force mentale, et suggère à Élisabeth de se détacher, par l’esprit, de son corps. Il faut l’appréhender comme on regarde un acteur jouer sur scène. On peut être touché, ressentir de la douleur devant ces « histoires tristes et lamentables », tout en restant à distance. L’âme peut ainsi profiter du spectacle : l’épreuve des passions ne fait que confirmer la supériorité de l’esprit sur le corps. Mais Élisabeth met en doute la capacité de l’homme à la comprendre, et à lui répondre. Face à la douleur de l’accouchement, à l’inquiétude pour ses proches, suffit-il réellement de le vouloir pour aller mieux ? Peut-on simplement faire abstraction de la souffrance, et de tout ce qui nous entoure ?

Une influence significative sur l’œuvre de Descartes

« Sachez donc que j’ai le corps imbu d’une grande partie des faiblesses de mon sexe » : Élisabeth rappelle au philosophe qu’il ne s’adresse pas seulement à un esprit, mais aussi à un corps. À la figure de l’homme raisonnable, elle oppose celle de la femme en société, confrontée à des contraintes auxquelles il ne fera jamais face. Descartes reconnaît la puissance du corps qui « empêche que la volonté ne soit libre ». Mais il rappelle que les passions sont toujours transitoires. Au contraire l’âme est éternelle, et c’est d’ailleurs cette certitude qui nous permet de faire face à la mort.

D’y faire face… Ou de s’y précipiter ? « L’immortalité de l’âme, et de savoir qu’elle est de beaucoup plus noble que le corps, est capable de nous faire chercher la mort », réagit Élisabeth dans une phrase saisissante. Elle semble tirer la conséquence tragique d’une telle philosophie qui lui semble parfois désincarnée. Pourquoi continuer à exister dans cette enveloppe corporelle qui nous empêche et nous fait souffrir, si l’âme subsiste après l’effacement physique de notre existence terrestre ? Le suicide deviendrait alors un geste philosophique ultime en direction d’une raison détachée de la prison matérielle.

Ces remarques inquiètent Descartes. Elles seront à l’origine de son dernier traité, Les Passions de l’âme (1649), dans lequel il adopte un point de vue précisément plus incarné, et insiste sur la nécessité de connaître les passions, au moins pour maîtriser leur influence. Son premier biographe, Baillet (1649-1706), souligne d’ailleurs l’impact d’Élisabeth sur la pensée cartésienne, la qualifiant de « chef des cartésiennes de son sexe ». À la lecture de cette correspondance, on se dit même que la princesse de Bohême a construit, avant l’heure, une critique de l’idéal de la raison abstraite, telle qu’on la retrouvera au XIXe chez Nietzsche ou, au XXe siècle, avec la phénoménologie ou les travaux féministes. La correspondance se lit ainsi comme l’expression de deux approches philosophiques distinctes, et toujours actuelles.

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