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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Éditions La Découverte

Le livre du jour

Le grand mélange des espèces

Octave Larmagnac-Matheron publié le 29 septembre 2021 4 min

Connaissez-vous Cayenne Pepper ? Sans doute pas. Elle est pourtant un personnage récurrent de l’oeuvre de Donna Haraway, et en particulier de son dernier ouvrage, Quand les espèces se rencontrent (La Découverte, 2021). Un personnage non-humain : Cayenne est une chienne, avec laquelle la philosophe pratique, de manière plutôt intensive, l’agility – un sport canin particulièrement apprécié des Anglo-Saxons, consistant en une course d’obstacles que le chien franchit sous les ordres de son maître.

Quelle relation se noue entre un animal et son maître ? Commençons, certainement, par cesser de penser que cette relation est hiérarchique, qu’elle suppose que l’animal est possédé par l’homme. L’homme est aussi, à sa manière, possédé par la bête : dans leurs incessantes interactions, les êtres se mêlent. Ils enchevêtrent leur psychisme, et même, dans une certaine mesure, leur chair. Nous commençons seulement à prendre conscience de cette grande mixture interspécique qui nous constitue.

 

  • Ce n’est pas le premier ouvrage que Donna Haraway consacre à la question de nos relations avec les animaux. Cinq ans avant When Species Meet, elle publiait, en 2003, le Manifeste des espèces compagnes. Si, avec Quand les espèces se rencontrent, elle gagne en ampleur, interrogeant davantage les questions éthiques et politiques, la réflexion de la philosophe adopte la même approche. Et le même point de départ – la relation étroite entre sa chienne et elle, formulée dans des termes explicitement repris de l’ouvrage précédent : « Mademoiselle Cayenne Pepper ne cesse de coloniser chacune de mes cellules […] Je suis convaincue que nos génomes sont bien plus ressemblants qu’ils ne devraient l’être. […] Sa langue souple et agile de berger australien rouge merle a réalisé des prélèvements dans les tissus de mes amygdales dotées de leurs avides récepteurs immunitaires. Qui sait où mes récepteurs chimiques ont transporté ses messages ou ce que, de son côté, elle a pris de mon système cellulaire pour distinguer le soi de l’autre et lier le dehors au dedans ? […] Nous nous fabriquons mutuellement, dans la chair. »
  • Les espèces ne cessent de se mêler au point que l’on ne sait plus bien, parfois, ce qui appartient à l’un et à l’autre – de même que nous ne savons plus exactement, par effet de répétition, si nous lisons le Manifeste des espèces compagnes ou Quand les espèces se rencontrent. Le mélange est la loi du vivant, en dépit de la volonté acharnée d’enfermer les êtres dans des catégories aussi étanches que rassurantes. Incessamment, nous « devenons-avec » les non-humains, à partir de la rencontre de ces autres. Nous ne sommes jamais complètement nous. C’est précisément cet entrelacs que recouvre la notion d’« espèces compagnes » – qui englobe, bien au-delà des seuls « animaux de compagnie », le bétail, les animaux de laboratoire ou même le microbiome qui peuple nos entrailles. « La catégorie d’“espèces compagnes” est moins délimitée et plus cacophonique. »
  • Cette loi de l’enchevêtrement, du mélange, nourrit, chez l’immense majorité d’entre nous, un certain inconfort. Une gêne, un malaise que Haraway cultive à dessein. À propos de sa chienne, elle écrit ainsi : « Nous avons eu des conversations illicites ; nous avons entretenu des rapports buccaux ; nous sommes tenues l’une par l’autre de raconter des histoires enchevêtrées en utilisant des faits, rien que des faits. Nous nous formons réciproquement à des actes de communication que nous comprenons à peine. » Faire face à cette gêne est indispensable si nous voulons aborder, de manière lucide, notre relation avec les bêtes.
  • Aborder, en particulier, la question éthique de la violence que nos sociétés exercent sur ces créatures, et sur laquelle s’arrête longuement Haraway. La philosophe s’efforce de reposer le problème à nouveaux frais : « Je pense que c’est une erreur de partager les êtres du monde entre ceux qu’on a le droit de tuer et ceux qu’on n’a pas le droit de tuer, et que c’est encore une erreur de prétendre vivre sans avoir à tuer. […] Je pense que la chose à laquelle nous devons renoncer […] si nous voulons apprendre à mettre fin aux exterminations et aux génocides […] c’est le commandement du “Tu ne tueras point”. Le problème n’est pas de déterminer à qui s’applique ce commandement pour pouvoir continuer à tuer le “reste” […] Peut-être vaudrait-il mieux formuler le commandement de cette façon : “Tu ne rendras pas tuable”. »
  • Sauver certaines vies en déchaînant, sans aucune mauvaise conscience, notre violence sur d’autres jugées moins dignes n’est pas la solution. Donner la mort, qui est une loi de la vie, ne doit jamais devenir un acte anodin. Ce parti pris interdit-il de hiérarchiser les morts – celle d’un homme et d’un rat, par exemple ? Sans doute pas. Mais Haraway ne s’engage pas plus avant dans cette discussion.

Quand les espèces se rencontrent, de Donna Haraway, paraît ce mois-ci aux Éditions La Découverte, dans une traduction de F. Courtois-L’Heureux. 24€ en édition physique, 15,99€ en version numérique, disponible ici.

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