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Christiane Taubira en meeting à la Faïencerie (Bordeaux), le 27 janvier 2022. © Romain Perrocheau/AFP

L’art de bien parler

Christiane Taubira : la rhétorique… mais pour quoi faire ?

Nicolas Tenaillon publié le 02 février 2022 4 min

Christiane Taubira est connue pour son amour de la poésie et son goût des belles phrases. Victorieuse de la « primaire populaire » à gauche, l’ancienne garde des Sceaux (de 2012 à 2016) a tenu, devant un public conquis, un discours qui s’est voulu enthousiaste et fédérateur. Pourtant, Christiane Taubira n’a toujours pas de programme précis… et certains, sur les réseaux sociaux comme dans les médias, lui reprochent de manier la langue française de façon cosmétique, pour mieux cacher certaines lacunes de fond.

L’art oratoire bien maîtrisé peut-il instaurer une légitimité en soi, indépendamment des conditions d’élocution ou des propositions concrètes que les mots sont censés défendre ? Nicolas Tenaillon, spécialiste de rhétorique, analyse son discours de dimanche pour l’élucider.

 

Réputée pour son éloquence, Christiane Taubira n’a certes pas déçu ses auditeurs sur ce point, dimanche dernier. Sans doute appris par cœur mais suffisamment incarné pour sembler improvisé, son intervention de plus d’un quart d’heure s’est articulée en trois temps : remerciements d’usage, rappel des valeurs de la gauche, appel à l’union des autres candidats derrière elle. Toute la difficulté était de rendre crédible le troisième temps, tâche quasiment irréalisable puisque les autres candidats avaient déjà opposé une fin de non-recevoir à cet appel.

Comment parvenir à convaincre non pas les électeurs qui l’ont plébiscitée mais les chefs des différents partis de la gauche qui font mine de l’ignorer ? Tel était l’enjeu véritable de l’intervention de dimanche soir. Pour rappeler les valeurs de la gauche, le choix de l’ex-ministre de la Justice a été celui du lyrisme. La candidate-écrivain s’est plu à décliner sur tous les tons le thème de la « belle histoire de la gauche », avec les armes classiques de la rhétorique quand elle privilégie l’asianisme (style riche en artifices) à l’atticisme (style sobre) :

  • appel à l’autorité de ses « figures tutélaires », depuis Condorcet et Olympe de Gouges jusqu’à Gisèle Halimi et Mitterrand en passant par Jaurès, Gambetta ou Blum ;
  • usage de l’assonance (répétition d’un même son pour mettre en relief un sentiment) en martelant que les courants de la gauche sont par essence « intrinsèquement, indéfectiblement, irréductiblement liés » ;
  • recours aux oxymores (alliance de mots contradictoire) pour dire que, par son « esprit déraisonnable », la gauche, toujours audacieuse, a fait de la France un pays d’hospitalité ;
  • citation poétique de la fameuse phrase de René Char que reprenait déjà Hannah Arendt : « Nous sommes des héritiers sans testament », afin d’inciter les hommes et les femmes de bonne volonté à dessiner leur propre destin ;
  • emprunt au registre de la pastorale (genre qui évoque les mœurs champêtres), lorsqu’elle appelle les électeurs « des communautés urbaines, des villages, des montagnes et des outre-mer » à agir localement pour favoriser l’union de la gauche ;
  • recours à l’hyperbole dans la péroraison finale, qui invitait les citoyens à « croire, rêver, espérer » afin d’œuvrer pour un « futur désirable ». 

Mais cet éloge n’avait sans doute qu’une fonction préparatoire. Car il s’agissait surtout, pour Taubira, de fédérer autour de sa personne les voix divergentes qui font obstacle à l’union de la gauche. À cet effet, elle s’est tour à tour adressée aux divers mouvements qui composent l’harmonie recherchée. N’hésitant pas à recourir à la flatterie, elle a souligné l’apport spécifique du socialisme et de son combat pour toujours plus de justice sociale, de l’écologisme « lanceur d’alerte », du communisme qui a permis la « sublimation ouvrière », des radicaux de gauche (dont elle fut la vice-présidente de 2002 à 2012) qui ont lutté souvent avec succès pour « l’émancipation des individus ». L’évocation, au sein de l’histoire de la gauche, de cette diversité de cheminement peut s’interpréter comme un argument dialectique pour justifier l’idée d’un « maillage » des sensibilités qui permet d’imaginer une « belle articulation » de la politique future de la gauche.

D’abord identifiés par leur idéologie, les adversaires que Christiane Taubira veut rallier à sa candidature ont ensuite été désignés par leur seul prénom : « Anne, Fabien, Yannick et Jean-Luc ». En versant dans le registre de l’intime et en assurant l’auditoire que ses amis de gauche ont, par leur intelligence, « le sens de l’intérêt général », Christiane Taubira laissait entendre qu’Anne Hidalgo, Fabien Roussel, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon se laisseraient convaincre pour renoncer à leur candidature. Mais, on le sait, tel ne sera sans doute pas le cas…

Alors pourquoi la prise de parole de dimanche soir ne modifiera-t-elle vraisemblablement pas la donne ? Parce qu’il est plus facile de convaincre une foule que les chefs qui prétendent la guider. Or en faisant le choix du lyrisme plutôt que celui du pragmatisme, Christiane Taubira ne pouvait séduire que ceux qui ont décidé de participer à l’élection populaire, soit quatre fois moins d’électeurs que ceux mobilisés pour la primaire de gauche de 2012. Sa stratégie rhétorique, certes pleine de panache, était-elle bien ciblée ? L’affirmation que le peuple de gauche « a fait irruption dans la campagne » semble performative, mais pourrait vite tourner court, compte tenu des divisions à gauche et des sondages qui mettent la droite loin devant. Investie par une base peu visible, Christiane Taubira, en dépit de son statut et de sa détermination, pourrait bien s’être exposée dimanche dernier à illustrer le mot de Machiavel, dans Le Prince (1532) : « Tous les prophètes armés furent vainqueurs et les désarmés déconfits. »

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