De quoi le refus d’obtempérer est-il le nom ?
Les cas de « refus d’obtempérer » font de plus en plus régulièrement l’actualité en France, à la fois parce qu’ils sont en augmentation spectaculaire depuis plusieurs années et parce que leur issue est parfois terrible : neuf morts depuis le début de l’année, dont encore deux à Rennes et à Nice ces derniers jours. Certains observateurs estiment qu’il faut alourdir les peines encourues, d’autres qu’il faut davantage règlementer l’usage des armes par les policiers, mais avant d’essayer d’endiguer le phénomène, nous devons nous interroger : que signifie la banalisation de cette attitude d’insubordination ?
Sommes-nous tous des rebelles en puissance ?
Bien sûr, il y a les cas qui relèvent du grand banditisme, c’est-à-dire ceux qui veulent échapper à un contrôle de police parce qu’ils risquent gros à être contrôlés. Ces situations-là existent, et ont toujours existé, mais elles restent marginales : la plupart du temps, les refus d’obtempérer, notamment ceux qui sont en augmentation (de 10% entre 2019 et 2021), concernent des délits moins graves, comme un défaut de permis de conduire, voire des délits mineurs. Alors, comment comprendre l’attitude de ceux qui semblent désormais prêts à prendre tous les risques pour eux-mêmes comme pour les policiers qui leur font face, de manière irrationnelle ?
Peur des violences policières
On peut effectivement rappeler que les Français sont particulièrement frondeurs et rebelles. On peut aussi blâmer le manque de respect dû aux représentants de l’État ou épiloguer sur la fin de l’autorité. Mais au-delà, les refus d’obtempérer sont le symptôme d’un mal plus profond qui touche notre pays, et qui trouve sa source dans le climat délétère de défiance dans lequel nous sommes plongés. Les relations sont crispées, tendues, voire hostiles entre les policiers et une certaine frange de la population, qui redoute ce qu’elle appelle d’une manière générale les « violences policières ». Suffisant pour s’affoler d’un contrôle routier somme toute assez banal ?
De Pan à la panique
L’hypothèse d’un prétendu sentiment d’impunité qui animerait ceux qui refusent d’obtempérer n’est pas sérieuse dans un contexte où, précisément, un certain nombre de ces refus conduit à des tirs des policiers qui n’ont que ce moyen pour se défendre. Chacun a bien conscience de ce à quoi il s’expose en n’obéissant pas aux injonctions policières. La raison est à chercher ailleurs et, à écouter un certain nombre de coupables, elle est plutôt à trouver du côté de la peur panique à laquelle ils auraient cédé, malgré eux. Or la panique, c’est bien d’elle qu’il s’agit. Le terme de panique vient du grec et renvoie à l’étrange divinité Pan, dieu des bergers et des troupeaux en plus d’être effrayant (et d’avoir un appétit sexuel débridé). Mais « pân » (πάν), en grec, signifie aussi « tout », comme on le voit dans les termes panoptique, panthéisme ou panafricain par exemple. Or, c’est précisément ce « tout » qui, aujourd’hui, fait peur : de la guerre en Ukraine au Covid-19 en passant par la situation économique et sociale ou l’inquiétude écologique, les craintes sont multiples, s’accumulent et forment ensemble un terrain propice. Nous sommes tous devenus particulièrement nerveux, et cette nervosité latente est exacerbée quand nous sommes au volant, pour des raisons de mieux en mieux connues tenant à la fois au stress subi par le conducteur et au sentiment de surpuissance qui lui est conféré par la situation de conduite. La voiture offre alors une occasion à notre rage intérieure de s’exprimer. Le refus d’obtempérer pourrait être ainsi l’un des multiples symptômes d’une tension généralisée dans la société, d’une saturation nerveuse et d’un rejet du monde tel qu’il va actuellement.
Pour ce mal-là, malheureusement, il n’y a pas de solution immédiate qui s’offre à nous. Et il est difficile dans ce contexte de retrouver la sérénité qui pourrait nous permettre de sauvegarder la paix civile et notre vie en commun.
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