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Lance (Toby Jones) et Andy (Mackenzie Crook), les deux protagonistes de la série anglaise “Detectorists”. © Jonathan Barclay/Arte

Série

“Detectorists” à la trace

Octave Larmagnac-Matheron publié le 31 janvier 2021 4 min

Marginaux à l’étrange accoutrement, ils sillonnent la campagne anglaise, armés de leurs détecteurs de métaux, à la recherche de trésors du passé. Ils se prénomment Lance (incarné par Toby Jones) et Andy (Mackenzie Crook, également créateur de cette fiction), les personnages principaux de la série Detectorists (2014-2017) que diffuse gratuitement le site Arte.tv. 

Sortes d’archéologues du dimanche, les deux amis enchaînent les déconvenues : en lieu et place des pièces d’or et des tombes royales, ils exhument surtout de la ferraille et quelques pennies. Qu’à cela ne tienne, ils essaieront, tout de même, de découvrir l’année de fabrication de cet opercule de canette. « Les archéologues rassemblent les faits, les pièces du puzzle. Ils étudient nos modes de vie passés, mais nous, ce qu’on fait, c’est différent. On déterre des souvenirs éparpillés, on s’intéresse aux histoires, aux personnes. Nous, on voyage dans le temps. » 

Les deux compères collectent les traces d’un passé qui n’est pas tant notre passé que notre présent – les débris que notre monde laisse ça et là, par inadvertance. Peut-on encore parler de trace ? 

Les œuvres de la tradition 

Toutes les civilisations laissent des traces. On pourrait même dire qu’elles se définissent par la volonté de laisser des traces, de composer un monde qui dure dans le temps. Rôle que remplissent, précisément, les œuvres, comme le montre Hannah Arendt : les œuvres « sont les seules choses à n’avoir aucune fonction dans le processus vital de la société ; à proprement parler, elles ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d’usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine » (La Crise de la culture, 1961). Les œuvres sont le visage même de la tradition, qui prolonge et réactive le passé dans le présent. Des traces qui, contrairement à celles que découvrent Lance et Andy, sont absolument volontaires.

Le passé révolu 

Peut-on, à vrai dire, parler de traces ? Non, si l’on en croit Paul Ricœur, qui voit dans la trace une « présence en l’absence » : « La trace est visible ici et maintenant, comme vestige, comme marque. […] Il y a trace parce que, auparavant, un homme, un animal est passé par là ; une chose a agi. Dans l’usage même de la langue, le vestige, la marque indiquent le passé du passage, l’antériorité de la rayure, de l’entaille, sans montrer, sans faire apparaître, ce qui est passé par là. » (Temps et Récit, III, 1985). La trace est l’indice d’un passé « révolu », le signe d’une « altérité », d’une discontinuité historique radicale, l’ouverture vers un monde perdu. Elle implique un passage par l’oubli, l’effacement, l’enfouissement – condition de la redécouverte. En ce sens, aucune civilisation ne cherche à laisser des traces : les civilisations résistent à l’effacement, elles entretiennent un monde dont le présent renouvelle sans cesse le passé, elles reconduisent la continuité de la tradition.

Le déchet involontaire

La trace est, au contraire, est profondément involontaire – elle est un déchet, un reliquat, que personne n’aurait jamais pensé à éterniser. C’est ce que souligne, à sa manière, Emmanuel Levinas : « La trace authentique […] dérange l’ordre du monde. […] Sa signifiance originelle se dessine dans l’empreinte que laisse celui qui a voulu effacer ses traces dans le souci d’accomplir un crime parfait, par exemple. Celui qui a laissé des traces en effaçant ses traces, n’a rien voulu dire, ni faire par les traces qu’il laisse. Il a dérangé l’ordre d’une façon irréparable. Car il a absolument passé. Être en tant que laisser une trace c’est passer, partir, s’absoudre. » (Humanisme de l’autre homme, 1972). Par conséquent, ce que les civilisations laissent derrière elles n’est pas toujours ce qu’elles ont passé leur temps à entretenir. Des objets, des outils, dont la durabilité matérielle prend le pas sur la pérennité symbolique des œuvres, peuvent à l’occasion devenir signes du passé.

La saturation du sol

Une canette jetée dans la nature, un bout de ferraille abandonné au fleuve, par exemple. Nous laissons des traces là même où nous n’y pensons pas. Nous n’avons, en ce sens, jamais laissé autant de traces qu’à notre époque de production décuplée. Des traces durable de métal, de plastique. Empaquetés dans leurs emballages, même les « biens de consommation », dont Arendt soulignait la péremption accélérée, ont acquis une espérance de vie exceptionnelle. Notre sol, où devrait s’oublier un temps les choses du passé pour être, un jour, révélées, est saturé de traces. Pas étonnant que Lance et Andy dégottent mille et un objets, mais rien de vraiment intéressant. Paradoxe singulier, ces traces que découvrent les deux compères sont en fait le souvenir de notre propre présent. Peut-être l’homme qui a un jour tenu cette canette est-il mort, mais le monde qui était le sien est encore le nôtre. Ces traces, innombrables, de notre présent oblitèrent celles du passé. Notre sol saturé ne laisse plus l’oubli se faire. 

La sobriété discrète 

Limiter les traces que nous laissons sur la Terre pourrait bien être, en ce sens, l’un des traits essentiels de notre horizon écologique. Plutôt que de prolonger la vie de tous nos objets, nous ferions mieux de retrouver le sens du périssable. Telle est, peut-être, l’une des leçons qui se cache derrière le ton léger, drolatique, d’une série à l’humour typiquement anglais. Si les deux hurluberlus du Danebury Metal Detecting Club persistent dans leur entreprise, en dépit des nombreuses déceptions, c’est peut-être d’abord parce qu’ils apprécient la convivialité et la simplicité de leurs pérégrinations dans la campagne anglaise. Un éloge discret de la sobriété heureuse – celle qui ne laisse pas de traces, ou presque ?

 

Les trois saisons de la série Detectorists sont visibles sur la plateforme Arte.tv

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