Diogène

Il est celui par qui le scandale arrive. Dormant dans une amphore, équipé seulement d’un manteau à l’étoffe grossière, d’une besace et d’un bâton, Diogène erre pieds nus dans les rues, mendie, harcèle ses semblables, urine et se masturbe en public… Diogène de Sinope est le principal représentant du cynisme antique, mode de vie et mouvement de pensée qui n’a que peu à voir avec ce que nous entendons aujourd’hui par ce terme.

Né à Sinope sur les rives de la mer Noire avant de gagner Athènes, dépeint par Platon comme un « Socrate devenu fou », Diogène manie un franc-parler dévastateur et se compare volontiers à un « chien » qui mord – c’est d’ailleurs une origine possible du mot « cynisme », qui serait tiré du grec kunes, « chiens ». Ses agressions ne sont pas purement gratuites, car Diogène a une ambition : il entend transgresser systématiquement les valeurs établies de la Cité. 

D’après un épisode demeuré obscur, il aurait été faux-monnayeur ; or « falsifier la monnaie » est bel et bien son credo philosophique, au sens où il s’agit de renverser les lois, de prendre le contre-pied des coutumes et des croyances en vigueur. Cela amène par exemple Diogène à mépriser ouvertement Alexandre – « Ôte-toi de mon soleil », dit-il à l’empereur qui s’est posté devant lui – ou encore à légitimer l’anthropophagie : « Rien d’impie à manger de la chair humaine. » Briser les tabous de la société vise à renouer avec une existence dictée par les réquisits de la seule nature. D’où la masturbation en public, besoin qui semblait pressant… 

Ce que recherche Diogène avec son mode de vie aussi provocateur que dépouillé, c’est l’indépendance, la liberté d’une vie en complète autarcie. Pour que l’âme soit plus forte et résistante, il s’agit aussi de se plier à une ascèse rigoureuse, à des exercices physiques éprouvants : ainsi Diogène, dont les faits d’armes sont rapportés dans les Vies et doctrines des philosophes illustres de son quasi-homonyme Diogène Laërce, se roule-t-il l’été sur du sable brûlant et étreint l’hiver des statures glacées. L’endurance acquise permet de se préparer à tous les coups du sort et à devenir le seul maître de soi-même. 

Le cynisme antique, sans constituer une école, perdurera après Diogène avant de s’éteindre vers le V^e siècle. Ce courant embrasse aussi le motif du cosmopolitisme. Affranchi des règles des cités particulières, Diogène de Sinope peut déclarer : « Je suis citoyen du monde. »